Franklin Dehousse

Le F-35, un choix toujours plus mauvais pour l’Europe, et pour le contribuable (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La décision de la Belgique d’acheter de nouveaux avions de chasse américains néglige, sur le plan stratégique, toutes les mutations survenues depuis 2018.

En 2018, le gouvernement Michel avait commandé des dizaines de chasseurs américains F-35. Alors déjà, la décision paraissait aberrante. Donald Trump, président depuis 2017, avait amplement manifesté son absence de fiabilité pour ses alliés. L’avion était hors de prix. Les compensations étaient quasi inexistantes. Le choix belge nuisait aussi à l’Europe, en rendant la recherche d’autres options plus difficiles. La principale tare de cette décision, toutefois, résidait dans l’absence complète de maîtrise informatique de l’avion. Comment présenter comme un instrument de sécurité (sic) une arme contrôlée en permanence par un autre pays dans ses moindres missions? Rien ne symbolise mieux la mise sous tutelle grandissante de l’Europe par les Etats-Unis.

Aussi lit-on avec totale sidération que «le Premier ministre Bart De Wever a confirmé que son pays achètera de nouveaux avions de chasse F-35» (dans Paris-Match du 23 avril 2025). D’une part, sur le plan démocratique, cette décision, fondamentale tant pour le budget que la stratégie, ne semble même pas avoir été débattue au gouvernement, et encore moins au Parlement étonnamment inerte sur ce point. Où sont les évaluations des coûts à long terme? Des compensations industrielles (déjà négociées en 2018 avec une médiocrité abyssale par le tandem Charles Michel/Steven Vandeput)? Des contrats? Des priorités dans les besoins? Des alternatives? Des nouvelles initiatives européennes?

D’autre part, sur le plan stratégique, pareille décision néglige les mutations survenues depuis 2018. Ni les constantes agressions de Donald Trump et de son équipe. Ni les nouvelles informations émises sur les coûts énormes du F-35. Ni les nombreux enseignements, tout à fait vitaux, de la guerre en Ukraine. Cette dernière témoigne en effet d’une érosion brutale de l’arme aérienne lourde. Le 2 mai, diverses sources russes indiquaient encore qu’un chasseur avait été abattu par un drone maritime. Ni, enfin et surtout, les débats en cours en Europe. Au moment où une série d’Etats de l’Otan réexaminent leurs commandes des chasseurs F-35, la Belgique, elle, décide d’augmenter les siennes!

Le Premier ministre et son ministre très agité de la Défense, Theo Francken, méprisent ainsi les règles élémentaires du management. En sus, ils apparaissent de plus en plus comme les derniers vieux «MAGA» du continent. Après un gouvernement De Croo largement creux dans les affaires européennes, le gouvernement De Wever retrouve ainsi les accents antieuropéens larvés du gouvernement Michel (aussi dans les questions climatiques, fiscales et institutionnelles).

Bart De Wever se délecte des bouffonneries sur l’Empire romain, destinées aux médias sociaux. Il ferait mieux d’étudier avec soin la belle collection des œuvres de Yann Le Bohec sur les armées romaines. Histoire des guerres romaines (Tallandier, 2017) conclut sur la déliquescence finale de l’empire, après des siècles de brillant empirisme (à l’opposé des sottises péremptoires de Theo Francken, pressé surtout de dépenser): «La principale faiblesse de l’armée vint du politique […]: la nullité des empereurs et de leur entourage empêchait toute action efficace.» Perseverare diabolicum, Bart.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire