Thierry Fiorilli

C’est beau comme une maison dont on ressent l’âme dès qu’on y entre

Thierry Fiorilli Journaliste

La maison est une ancienne ferme, dans un hameau, sans maquillage ni prétention. Un lieu où l’on contemple sa vie, avant de repartir avec force et sérénité.

C’est une ancienne ferme, on sait juste qu’elle a été construite avant 1850. Dans un tout petit village –on peut dire un hameau– à mi-chemin entre Charleroi et Namur. En ce mois d’août radieux, le coin apparaît comme inespéré. Mille couleurs, de l’air, l’horizon, des courbes, des bois, des prés, des fleurs, un lac pas loin, de jolies maisons souvent sans maquillage ni prétention, avec des pierres, des tuiles, des plantes aux façades, des bêtes qui broutent tranquillement autour, le calme et la paix d’un soir dédié à contempler sa vie, depuis une terrasse en surplomb d’une étendue immense, quand vient l’instant où, malgré les cicatrices, les gouffres, les injustices, les deuils et les défaites, on se dit que, finalement, elle valait le coup. Qu’on peut se réjouir de ce qu’elle nous a accordé et de ce qu’on en a fait.

Quand on est arrivé au rendez-vous, on pensait que l’adresse était celle d’un gîte loué, pour les vacances. On pensait mal: l’ancienne ferme, c’est la maison familiale de l’hôtesse des lieux. La résidence secondaire de sa famille, depuis les années 1970. Et quelle famille! Outre les parents, six filles. Celle-ci dit qu’elle se souvient très bien quand la tribu a débarqué ici, avant l’achat: les cochons dans ce qui est aujourd’hui une remise, dans la cour d’entrée, côté rue; des vaches dans ce qui est devenu la salle à manger, dont «papa a sablé le plafond», en brique et en voûtes; l’évier en faïence, dans ce qui est resté la cuisine; les deux petits salons, «qui semblaient n’avoir jamais servi». C’était habité par le couple de fermiers, âgés, désormais seuls avec leurs bêtes et leur terrain.

En ce mois d’août radieux, le coin apparaît comme inespéré.

Au fil du temps, passée dans ces nouvelles mains, la ferme s’est transformée: des murs ont été percés, des cloisons ajoutées, des arbres plantés, des pièces réaménagées, des fenêtres créées. On a modernisé, sans poudre aux yeux, pour qu’on puisse y habiter, souvent, parfois longtemps, à au moins huit. L’hôtesse fait visiter: la deuxième salle de bains, à l’étage, récemment réalisée; la chambre de la fille aînée, à l’époque, au début d’un couloir, puis quatre autres apparues quand ses sœurs ne pouvaient plus forcément dormir ensemble, dans une grande pièce transformée en dortoir; le grand espace sous le toit, depuis peu isolé et faisant office de sixième (très grande) chambre; tout le côté qui jadis abritait le fenil et qui, bientôt, un jour, les travaux ont commencé et c’est elle, celle qui nous a invités, qui s’en charge, sera lui aussi habitable.

Et puis, le jardin. Vaste. Sauvage mais hospitalier. Un saule gigantesque, «que maman a planté, il y a 50 ans». Le bosquet où on prend l’ombre et le frais. Le verger, derrière («on récolte les pommes et on en fait du jus, on a un pressoir»). Le petit carré où est dispersée une partie des cendres des parents.

Désormais, seules deux des six sœurs s’occupent de la maison. Mais on y défile toujours, régulièrement, puisque les portes s’ouvrent volontiers. Aux collègues, amis, grands enfants de proches qui se posent quand les questionnements de l’existence pèsent trop lourd. Comme avant, quand c’était la demeure familiale: des fêtes, des retraites, des petits team buildings, des barbecues, des tête-à-tête, des voltes, des rires, des chagrins, des pans d’existences. Sur des générations. Plein de gens y sont venus, y ont séjourné, y ont œuvré. Plein de gens y viennent, séjournent et œuvrent encore. Repartant avec force et sérénité, à la fois, ressenties longtemps après. Le propre des lieux dont l’âme, vibrante, est perceptible à peine on y entre.

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