Anne Lagerwall

Trop contraignant, le contrôle des exportations d’armes? (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

La Belgique, en vertu des quatre Conventions de Genève, est tenue de respecter mais également de faire respecter, par les autres Etats, le droit des conflits armés.

Le ministre wallon de l’Economie Pierre-Yves Jeholet déclarait en septembre dernier qu’en matière d’exportations d’armes, il convenait d’arrêter d’avoir «des états d’âme alors que d’autres sur la scène internationale n’en ont pas». C’est une tout autre analyse qui se dégage d’une enquête consacrée au commerce des armes wallonnes dont les résultats ont été diffusés le 13 mars dans l’émission #Investigation sur la RTBF.

On y apprend que des systèmes de mitrailleuses FN Herstal ont été placés aux Etats-Unis sur des hélicoptères du même modèle que ceux utilisés en avril 2018 par l’armée afghane pour mener une opération dans la province de Kunduz, tuant dix talibans mais également 36 villageois dont 30 enfants et en blessant une centaine d’autres, comme l’a établi un rapport des Nations unies. On y apprend aussi que des munitions 7,62 de l’entreprise New Lachaussée, à Herstal, destinées à des fusils d’assaut faisaient partie de l’arsenal détenu par des paramilitaires serbes qui se préparaient en 2023 à une opération de déstabilisation au nord du Kosovo qui, si elle a été déjouée, a fait une victime parmi les forces policières locales. On y apprend enfin que des pièces de moteur à réaction fabriquées par l’entreprise Safran Aero Boosters installée elle aussi à Herstal sont montées aux Etats-Unis sur des chasseurs-bombardiers israéliens F-15, du type de ceux qui prennent part aux opérations militaires particulièrement meurtrières dans la bande de Gaza et au Liban.

A l’heure où certains misent sur le développement de la production et du commerce des armes, il faut rappeler que la Belgique, en vertu des quatre Conventions de Genève, est tenue de respecter mais également de faire respecter, par les autres Etats, le droit des conflits armés. Il exige qu’on ne vise que des objectifs militaires, à l’exclusion de biens civils, et qu’on veille, en toutes circonstances, à éviter les pertes parmi la population civile. La Belgique a également souscrit au traité sur le commerce des armes dont l’article 6§3 interdit de transférer des armes à destination d’un Etat s’il existe un risque que ces armes soient utilisées pour commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes de génocide ou pour violer les règles du droit des conflits armés. Ces obligations imposent à toutes les autorités du pays d’empêcher que du matériel militaire, y compris ses munitions et ses composantes, soit transféré dans de telles circonstances, directement ou indirectement, à des Etats impliqués dans des conflits armés ou occupant des portions de territoires étrangers.

A défaut de se conformer à ses obligations, la Belgique pourrait voir sa responsabilité engagée devant les tribunaux nationaux ou internationaux, comme cela fut le cas pour les Pays-Bas. Condamnés par la Cour d’appel de La Haye à cesser l’exportation de pièces pour les F-35, en raison du risque de voir ces avions de combat participer à des opérations militaires israéliennes violant gravement les principes du droit des conflits armés, les Pays-Bas ont porté l’affaire devant la Cour suprême dont l’avocat général a déjà conseillé à la cour de confirmer la décision de la Cour d’appel…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire