Un homme et une femme peuvent-ils «juste être des amis»? Si cette amitié prospère dans les sociétés égalitaires, elle dépérit dans les contextes sexistes, selon des méta-analyses scientifiques.
L’éternelle question. Celle qu’on balance à un compagnon de vie pour attiser la jalousie: un homme et une femme peuvent-ils «juste être des amis»? Une interrogation si fondamentale qu’elle a inspiré des comédies romantiques, des disputes familiales, des prêches religieux et désormais… des méta-analyses scientifiques. Pas question d’essentialiser «l’amitié homme-femme» qui reste protéiforme, comme toutes les relations humaines. Pas question non plus de fournir aux sceptiques des arguments pour pourrir le quotidien de leur conjoint. Mais selon la professeure de psychologie April Bleske-Rechek, de l’université du Wisconsin, le désir existerait dans le contexte d’amitié. Et les hommes tendraient à surestimer la réciprocité du désir, pensant que leurs amies sont plus attirées par eux qu’elles ne le déclarent.
Fallait-il un doctorat pour en arriver à cette conclusion? Il semblerait, car le cerveau humain est retors. Ainsi, certains hommes auraient une fâcheuse tendance à confondre amitié et drague. Ils surinterpréteraient les signes d’intérêt amicaux comme de l’intérêt sexuel, alors que les femmes seraient davantage adeptes de la protection assurée par la friendzone (quand l’un des deux est amoureux alors que l’autre le garde confiné dans une relation amicale). Cette mise à distance toucherait particulièrement les hommes hétérosexuels qui nourrissent des attentes amoureuses non partagées. Un argument d’ailleurs utilisé par les extrémistes masculinistes pour justifier leur haine des femmes, jugées par eux manipulatrices et calculatrices.
Parlant sexisme, il serait dommage de ne pas reconnaître que le mouvement MeToo a contribué, entre autres, à redessiner l’amitié homme-femme comme une relation humaine sécurisante. Une nouvelle donne qui a ses avantages: des femmes plus exigeantes sur le respect mutuel et la clarté des échanges, et des hommes «déconstruits de leurs préjugés» qui gagnent en popularité en tant que confidents et amis fiables. Oui, l’amitié homme-femme se réinvente. On voit même apparaître des «mariages d’amitié», où des amis de longue date officialisent leur lien platonique.
Là où les femmes travaillent autant que les hommes, la mixité amicale prospère.
Parallèlement, la fluidité de genre bouscule le cadre binaire traditionnel. Pourquoi s’interroger sur l’amitié selon le prisme du genre quand on peut simplement considérer les individus?
Autre biais bien ancré: les femmes privilégieraient des liens plus intimes et émotionnels (tisane, potins et chagrin), alors que les hommes préfèreraient les activités partagées (randonnée et tours en voiture). Des écarts qui s’amenuisent dans les sociétés égalitaires, comme le révèle l’étude menée par des chercheurs de Meta et de la NYU Stern School, publiée en 2025 et portant sur près de 1,8 milliard d’utilisateurs adultes de Facebook (uniquement) à travers le monde. L’indice d’amitié intersexe («Cross-Gender Friending Ratio», ou CGFR) utilisé révèle des disparités aussi évidentes que saisissantes: quasi inexistante dans certains pays conservateurs ou à forte ségrégation sexuelle du Moyen-Orient, elle atteint des scores plus hauts dans les pays occidentaux. En clair: là où les femmes travaillent autant que les hommes, la mixité amicale prospère. En revanche, l’absence d’amitié intersexe est corrélée à des normes plus sexistes et à une restriction de l’accès des femmes à l’espace public.
Ce qu’on retient? Que l’amitié homme-femme est possible, mais qu’elle demande de la transparence, de la communication et une bonne dose de lucidité sur ses propres intentions. Elle prospère dans les sociétés égalitaires et dépérit dans les contextes sexistes. Elle est à la fois un moteur et un indicateur de progrès.
Pouvoir être amis, même si l’un ou l’autre a un kiki, serait un marqueur de civilisation. Alors cultivons!
