Thierry Fiorilli

C’est beau comme la part de l’humanité qui résiste à nos envies de misanthropie

Thierry Fiorilli Journaliste

Vivre seul n’est forcément une tare. Cela dit, être ermite ou misanthrope, oui, mais de façon intermittente. Car parfois surgissent des signaux qui rallument la flamme de notre humanité.

Dans Enfin seule, publié cet automne aux éditions Allary (Le Vif du 24 septembre), la journaliste et essayiste française Lauren Bastide exhorte les femmes qui vivent seules à ne pas forcément se considérer en situation d’échec ou de tare. Mais, si elles en ont les moyens, d’y voir une chance. Parce que s’y love une forme de libération du système carcéral érigé par le patriarcat. Lauren Bastide appelle ce mode de vie l’«enfinsolitude». Par les temps qui broient, on peut être homme et aspirer à pareil. Pour se réfugier loin de tout ce qui donne à l’époque son allure de vaste morgue.

Mais au beau milieu surgissent des signaux qui rallument la flamme. La vidéo sur Instagram d’un couple, en pleine rue, qui doit choisir un chiffre entre 1 et 100.000. La fille dit «six», et on leur annonce qu’ils ont droit à un achat de six euros dans la pizzeria du coin. Alors, le garçon intervient, parce que sa copine n’est pas top pour ces trucs, «refaisons-là, ce sera viral»; bon, ça va; «choisissez un chiffre entre 1 et 100.000 »; et le garçon, la main sur la bouche de la fille, répond «sept».

Ou cette liste d’achats, sur une feuille de papier, dans le caddie du supermarché, avec juste écrit: «Chokotoff.» Soit c’est vraiment indispensable, soit il n’y a de quoi payer que ça.

Ou cette déclaration d’amour de Roberto Benigni à sa femme, l’actrice Nicoletta Braschi, il y a quatre ans, après avoir reçu un prix au Festival de Venise, que quelqu’un a reposté ces jours-ci et qui apparaît entre deux jets de bile: «Ça fait 40 ans que nous faisons tout ensemble, et je ne connais qu’une seule façon de mesurer le temps: avec toi ou sans toi. Nous partageons ce prix. Toutes les ailes te reviennent, car si jamais j’ai pris mon envol dans mon travail, c’est grâce à toi, à ton talent, à ton mystère, à ton charme, à ta beauté, à ta féminité, au simple fait d’être femme. […] Je ne pourrais jamais être comme toi, Nicoletta. Si j’ai accompli quelque chose de beau et de bon dans ma vie, ça a toujours été traversé par ta lumière.»

«Il faut tâcher d’être heureux, ne fût-ce que pour donner l’exemple.»

Ou ce grand gaillard, dans les 1,90 mètre, épaules de colosse, qui tient la main d’une toute petite vieille dame, sa grand-mère, qui a perdu le fil de tout, et il l’emmène se promener. Et leur image, de dos, est plus merveilleuse que chagrine. Ou ce cri, plaqué au mur par des filles, en mission commando: «On colle la nuit pour que l’égalité voit le jour.» Ou ces joueurs de foot aux salaires fous qui ôtent leur veste, pendant l’hymne national, sous la pluie, pour envelopper les gosses qui frissonnent devant eux. Ou ces équipes en veste jaune fluo, qui servent la soupe, le soir, devant la gare, aux sans-abri accourus. Ou ce gars qui offre des fleurs à une inconnue, dans le métro, en lui disant que «la Joconde serait le plus grand chef-d’œuvre de l’art si votre sourire n’existait pas», et la fille pleure, tellement c’est beau et imprévu. Ou ce post-it, sur le frigo, avec une citation de Prévert: «Il faut tâcher d’être heureux, ne fût-ce que pour donner l’exemple.»

Et tant d’autres instants de grâce, © les gens.

Alors, «enfinseul», ermite ou misanthrope, oui. Mais intermittent, hein. Façon retraites ponctuelles, quand la coupe est pleine, quand la dose est trop lourde, avec ticket retour dans la masse. Parce que, tous ces élans jaillis, calculés ou non, rendent touchante, au moins en partie, l’humanité. Et on se surprend alors à comprendre qu’on a toujours besoin d’elle. Plus que de ces systèmes dominants mis en place.

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