Nicolas De Decker

«Ce n’est pas le bon moment pour mener une action»: pourquoi les éditorialistes n’aiment jamais les syndicalistes

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Quelle que soit l’action, quel que soit le moment, les éditorialistes sont toujours énervés contre les syndicalistes. C’est une loi sacrée de la bien-pensance médiatique.

Connaissez-vous la parabole du syndicaliste, nécessairement et extérieurement de gauche, et de l’éditorialiste, sempiternellement et intérieurement de droite?

Le premier agissait souvent et le second lui répondait toujours. Mais si les actions étaient différentes, les réponses, elles, étaient toujours identiques.

Avant les élections, le syndicaliste de gauche fit campagne contre des propositions de droite qu’il n’aimait pas. Alors il imprima et distribua des tracts.

Mais enfin, ce ne sont que des promesses, attendez, on n’a pas encore voté, ce n’est pas le bon moment, il est trop tôt, pourquoi ainsi faire peur aux gens, vous sortez de votre rôle, lui répondit l’éditorialiste. 

Puis après les élections, les partis de droite qui avaient gagné négocièrent, ils proposèrent des choses que le syndicaliste de gauche n’aimait pas. Alors il manifesta.

Mais enfin, attendez, l’accord de gouvernement n’est même pas encore signé, ce ne sont que des fuites dans les journaux, pourquoi ainsi effrayer la population, il est trop tôt, vous sortez de votre rôle, lui écrivit l’éditorialiste.

Puis l’accord de gouvernement fut signé, et dans l’accord il y avait ces mesures de droite que le syndicaliste de gauche n’aimait pas. Alors il se mit en grève perlée.

Non mais attendez, les modalités de la décision ne sont pas encore établies, ce n’est pas le moment, vous verrez quand vous les négocierez, il est trop tôt là, lui signifia l’éditorialiste.

Puis le ministre présenta au gouvernement son projet en première lecture. Alors le syndicaliste se mit en grève du zèle.

Non mais attendez, ce n’est que la première lecture, ce n’est pas le bon moment, là, le supplia l’éditorialiste.

Puis le ministre présenta au gouvernement son projet en deuxième lecture. Alors le syndicaliste se mit en grève filtrante.

Non mais enfin, ce n’est pas du tout le bon moment. Ici, ce ne sont que des discussions techniques, lui intima l’éditorialiste.

Puis le gouvernement transmit le projet de loi avec ses mesures de droite au Parlement. Alors avant le vote au Parlement, le syndicaliste protesta dans la rue, pas très loin.

Non mais enfin attendez, vous n’êtes plus dans votre rôle là, les mesures ne sont même pas encore votées, il est beaucoup trop tôt, laissez le Parlement se prononcer, ce n’est pas à la rue de décider dans ce pays, tonna l’éditorialiste.

Puis la loi fut votée, les arrêtés furent pris, les mesures entrèrent en œuvre, et elles déplaisaient toujours au syndicaliste. Alors il se mit en grève générale.

Non mais là c’est trop tard hein, il fallait le dire avant, c’est trop facile maintenant, ça a été voté, le peuple a décidé le jour de l’élection, et vous bloquez le pays, et de toute manière ces réformes sont nécessaires et indispensables, merde quoi, explosa l’éditorialiste, un peu énervé. Il se sentait certain d’avoir sur les faits un regard neutre, circonstancié et courageux. Mais il n’avait fait qu’attaquer la manière du protestataire pour ne devoir jamais assumer défendre le fond des mesures protestées, sauf à la tantième attaque sur la manière, où il s’était un peu emporté, ce n’était pas l’objectif.

Le syndicaliste, lui, se sentit inutile et fatigué.

C’était le but.

 

 

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