Carte blanche

Une crèche de Noël qui devrait plutôt nous interpeller que nous heurter

Une carte blanche de Bernard De Commer, ancien instituteur et permanent syndical retraité.

Pour une fois, ce n’est pas l’instituteur et permanent syndical retraité qui s’exprime ici, mais celui qui, de nombreuses années durant, fut chargé de donner le cours de religion catholique dans des classes à forte concentration d’enfants issus de l’immigration maghrébine; c’était même à la demande d’ailleurs de l’inspection diocésaine.

Jamais auparavant une crèche sur la Grand‑Place de Bruxelles n’a autant fait parler d’elle. Le concepteur de celle‑ci Victoria Maria Geyer n’y est certes pas allée par quatre chemins, représentant Marie, Joseph et l’Enfant Jésus sans visage et en tissus recyclés. Même Georges‑Louis Bouchez y met son grain de sel, quand il s’exprime dans La DH du 29 novembre dernier qualifiant cette crèche «d’ineptie et d’insulte à nos traditions». Et en réclamant «le remplacement immédiat ou au plus tard pour l’édition de l’année prochaine».

Ineptie, dit‑il. C’est‑à‑dire idiote, bête. Evidemment, présenter Marie, Joseph et Jésus sans visage et en tissus recyclés (une pratique bien contemporaine pourtant) ne peut qu’interroger l’iconographie chrétienne que nous avons héritée en 1223 de François d’Assise, initiateur de la toute première crèche de Noël: une Marie, un Joseph et un Jésus aux visages bien de chez nous, aux vêtements qui n’ont rien de recyclés. Accompagnés par un âne et un bœuf. Rappelons quand même que, historiquement parlant, Marie, Joseph et Jésus ne ressemblaient en rien à cela. Il s’agissait de Palestiniens, vivant sous occupation étrangère comme les Cisjordaniens de notre temps, par exemple, ou les Gazaouis, en quête d’ailleurs de papiers comme l’affirme l’évangéliste Luc (Luc 2:1‑20):

  1. En ce temps‑là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre.
  2. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.
  3. Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville
  4. Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David,
  5. afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.
  6. et elle enfanta son fils premier‑né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. (Texte de Louis Segond Bible).

L’évangéliste Matthieu confirme et y va d’une interprétation théologique: cet enfant est le Sauveur annoncé par les Prophètes. Et donc que le doyen de la cathédrale Saints‑Michel‑et‑Gudule ait donné son aval à cette crèche n’a rien de surprenant. Pour ma part, cela me rassure, au contraire. Il me semble que ne pas percevoir des similitudes, toutes choses restant évidemment égales à elles‑mêmes, entre cette histoire et ce qui se passe dans l’actualité, c’est faire preuve de mauvaise volonté, voire, dans le cas de certains politiques, d’opportunisme peut‑être.

Et voilà même que cette crèche fait à nouveau parler d’elle, quand je lis dans 7Dimanche de ce 30 novembre 2025 dans un article signé Julien Lahou, que la crèche «contemporaine» a été vandalisée, «que la tête du personnage réalisée en tissu a été arrachée et emportée» et qu’il ne reste que «le berceau vide aux pieds de Marie et de Joseph».

Ce n’est certes pas la première fois que cette crèche est malmenée, mais au‑delà de cet incident, il nous faut, croyants ou incroyants, nous laisser interpeller par le message de cette crèche de ces personnages sans visages comme tant d’autres aujourd’hui, apatrides, chassés de chez eux, habillés de hardes et dont, bien souvent, nous ne voulons pas chez nous. Et sans même courir trop loin, selon les chiffres fournis par la plateforme Bruss’help, que «9.777 personnes sans chez soi soient recensées en Région bruxelloise, soit une augmentation de 24,5% depuis 2022, dont près de 1.000 personnes vivant en rue ne peuvent toujours pas «crécher» dans la capitale, cela a vraiment de quoi nous révolter.

Et cette révolte est bien dans l’esprit de Noël. Mais nous préférons sans doute nous retrancher dans la tradition parce qu’elle rassure, nous évite de nous remettre en question. Pour Noël également, car l’esprit de Noël, ce n’est ni une crèche, ni un sapin, ni quelques chants style Silent Night, ni quelque festivité que ce soit, c’est nous inscrire dans ce que le compositeur Gustav Mahler soutenait: «La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu.» Et donc préservons plutôt le feu que les cendres.

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