Sous couvert de réforme, le gouvernement belge impose une refonte autoritaire du système de santé. Sans concertation, il menace l’indépendance médicale, l’accessibilité des soins et l’essence même de la médecine libérale, selon les représentants de l’Union belge des prestataires de soins.
Dans un contexte de pénurie médicale, de surcharge chronique des services et de défis démographiques majeurs, le gouvernement engage une réforme profonde de notre système de soins.
Sans les soignants, sans concertation, sans vision de terrain.
Ce projet, baptisé réforme des soins de santé, n’est pas une réforme: c’est une entreprise de normalisation comptable, qui sacrifie l’indépendance, l’accessibilité et la qualité des soins sur l’autel d’un pilotage budgétaire autoritaire.
Imposée dans un calendrier verrouillé, en pleine période estivale, cette réforme balaie les corps intermédiaires, marginalise les représentants médicaux et court-circuite tout dialogue social. Plutôt qu’un processus démocratique, nous assistons à une marche forcée. Le ministre définit seul les règles, puis les impose via des mécanismes automatiques ou des arrêtés royaux. Ce n’est pas de la sorte qu’on garantit un système de santé pérenne.
Trois «lignes rouges» inacceptables
1. La suppression possible du numéro Inami.
Une autorité administrative pourra retirer unilatéralement le droit d’exercer, après des années d’études, sans contrôle judiciaire systématique. Ce n’est pas une régulation professionnelle, mais une radiation administrative.
2. La fin du conventionnement partiel.
Le médecin ne pourra plus exercer à la fois en conventionné et en non-conventionné. Cette suppression prive les soignants d’un équilibre vital entre accessibilité et viabilité économique, notamment dans les zones mal desservies. De plus, le conventionnement partiel offre une solution concrète aux jeunes praticiens qui ne peuvent s’installer dans certaines zones à cause de charges trop lourdes.
3. La pénalisation financière des patients.
En limitant les remboursements chez les praticiens non conventionnés, on discrimine les patients selon leur médecin et on introduit de facto une médecine à deux vitesses. C’est injustifiable.
Cette réforme n’améliore pas notre système, elle aggrave ses dysfonctionnements. D’une part, elle plafonne les honoraires, sans tenir compte des réalités de terrain, et elle bloque l’indexation automatique des consultations, sauf conditions politiques strictes. D’autre part, elle impose une digitalisation intégrale, sans accompagnement ni financement. Il en résulte une pratique médicale de plus en plus encadrée, désincarnée, fragilisée.
«Cette réforme n’améliore pas notre système, elle aggrave ses dysfonctionnements.»
Le médecin indépendant en voie de disparition
Derrière l’apparente modernisation du système, la réforme met à mal les fondements mêmes de la médecine libérale. En particulier:
– La suppression de la liberté tarifaire induit une dépendance économique.
– Les plafonds d’honoraires imposés par l’Etat empêchent les médecins d’adapter leurs tarifs aux coûts réels (charges, personnel, matériel, temps). Et quand l’indexation est bloquée par défaut, les revenus stagnent malgré l’inflation. Cela revient à ôter aux médecins le contrôle de leur rémunération, les plaçant dans une dépendance économique unilatérale.
Le numéro Inami peut désormais être retiré de manière totalement arbitraire. Des sanctions peuvent tomber en dehors de toute procédure judiciaire, selon le bon vouloir du ministre. Le soignant n’a plus aucune indépendance possible avec de telles menaces: il devient un salarié déguisé de l’Etat, sans les droits sociaux de ce statut. L’ensemble de ces dérives brouille la frontière entre indépendant et subordonné, et ouvre la voie à une médecine d’Etat en Belgique.
«Le numéro Inami peut désormais être retiré de manière totalement arbitraire. Des sanctions peuvent tomber en dehors de toute procédure judiciaire, selon le bon vouloir du ministre.»
L’annonce d’un bain de sang social
Les cabinets libéraux ont investi dans du matériel, des outils modernes, du personnel formé. Modifier unilatéralement les règles du jeu met tout cela en péril.
Plafonner les honoraires sans justification économique ni revalorisation du tarif de base, c’est décourager les vocations, aggraver la désertification médicale, et affaiblir les soins de proximité, surtout là où les besoins sont criants.
Pendant ce temps, les mutualités glissent vers un rôle d’assureurs privés, oubliant leur mission d’équité et de solidarité. Elles s’immiscent dans les décisions politiques, officiellement dans l’intérêt de leurs clients, mais en réalité avant tout dans leur propre intérêt. En effet, celles-ci ont beaucoup à gagner à la limitation des honoraires des soignants, car ce sont autant de remboursements en moins à effectuer.
Les syndicats médicaux sont vidés de leur substance: le gouvernement prévoit de retirer tout subside aux syndicats dès lors qu’il estime qu’il y a un nombre insuffisant de membres conventionnés. Dans ces conditions, les syndicats ne peuvent plus représenter leurs affiliés de manière indépendante.
Une mobilisation pour les soins
Nous lançons un appel à la mobilisation, à la fois aux soignants, aux patients et aux citoyens. Ce combat ne porte pas sur des avantages personnels. Il s’agit de l’avenir d’un modèle de soins centré sur l’humain, la compétence et l’engagement. Souhaitons-nous un système de santé dirigé par des tableurs Excel? Ou une médecine libre, humaine, équitable et accessible à tous? Une médecine indépendante n’est pas un luxe. C’est un droit fondamental, pour ceux qui soignent, et pour ceux qui ont besoin d’être soignés. Il est encore temps d’agir. Ensemble, faisons entendre notre voix.
Les représentants de l’Union belge des prestataires de soins / des soignants inquiets
(Le titre est de la rédaction. Le titre original: «Soins de santé: non à une réforme précipitée, autoritaire et destructrice»)