Dans le cadre de la limitation du cumul des aides sociales par foyer, La Coalition pour un CPAS humain, le réseau BMIN et la Plateforme Stop au Statut de Cohabitant.e publient une carte blanche visant à alerter sur les dangers de la mesure.
Qui dit nouvelle semaine, dit nouvelle mesure pénalisant les bénéficiaires d’allocations. Lundi, la ministre de l’Intégration sociale Anneleen Van Bossuyt a annoncé que les CPAS devront tenir compte, au moment de déterminer un revenu d’intégration, non seulement des ressources des partenaires des demandeurs, mais aussi de celles des parents, grands-parents, enfants et petits-enfants majeurs, beaux-parents, beaux-fils et belles-filles vivant sous le même toit. Avec cette modification de l’arrêté royal, la ministre souhaite s’attaquer à quelques cas exceptionnels dans lesquels des familles cumulent plusieurs revenus d’intégration. Un large public se félicitera peut-être d’une telle politique stricte. Mais dans la pratique, la mesure rendra la vie impossible à de nombreuses personnes en situation de vulnérabilité. En outre, elle affaiblira encore plus le rôle des travailleurs sociaux des CPAS.
Prenons l’exemple suivant : Suzanne vit depuis plusieurs années sous le même toit que son partenaire violent. Avec le revenu limité de son emploi à temps partiel, elle ne peut payer aucun loyer. Son père Erik souhaite héberger sa fille chez lui pendant quelques mois. Jusqu’à maintenant, cela était possible, mais dans le futur, selon la ministre Van Bossuyt, il devra être sanctionné financièrement par une réduction, voire la suppression de son revenu d’intégration pour avoir aidé sa fille.
Certes, les CPAS pourront toujours faire exception en invoquant des raisons de santé et d’équité. Mais le travailleur social en charge du dossier devra alors exposer les faits et les raisons concrets, ainsi que la méthode de calcul utilisée. Neuf travailleurs sociaux sur dix déclarent qu’ils ont déjà trop peu de temps pour l’accompagnement[1]. Il est tout simplement impossible d’ajouter des tâches administratives supplémentaires. De plus, on peut se demander si les autorités locales, qui sont de plus en plus souvent confrontées à des pénuries financières, seront disposées à financer ces exceptions.
Grâce à leur formation, les travailleurs sociaux ont beaucoup plus d’expertise en matière de pauvreté que les politiciens, mais ce sont pourtant ces derniers qui leur dictent la manière dont ils doivent faire leur travail. De cette manière, le travail social devient une profession administrative où il suffit d’appliquer les règles imposées. Par-delà les frontières linguistiques, trois coalitions s’inquiètent fortement de cette situation : la Coalition pour un CPAS humain, le Belgian Minimum Income Network (BMIN) et la Plateforme Stop Statut de Cohabitant.e. Trois collectifs rassemblant les Réseaux de lutte contre la pauvreté, les syndicats, des mutuelles, des associations professionnelles de travailleurs sociaux de CPAS et d’autres organisations de la société civile. C’est une raison importante pour laquelle les CPAS ont de plus en plus de difficultés à pourvoir leurs postes vacants. Les travailleurs sociaux veulent exercer le métier pour lequel ils ont été formés : garantir les droits fondamentaux et les droits humains de ceux pour qui ils travaillent, et non les contrôler et les sanctionner.
Car plus encore que les travailleurs sociaux, ce sont les bénéficiaires du revenu d’intégration qui seront les principales victimes de cette mesure. L’exemple de Suzanne et Erik montre déjà que cette politique entravera la liberté de choix vitale des personnes en situation de vulnérabilité. Pour un certain nombre de femmes, en particulier, cette expression peut être prise au sens littéral.
Mais même dans les familles sans violence conjugale, cette réforme du calcul du revenu d’intégration sociale ne causera que des souffrances. Outre la réduction du revenu d’intégration, les avantages sociaux, tels que les allocations familiales, risquent également d’être attaqués grâce à la mise en place d’un registre central et à l’introduction d’un plafond pour les allocations.
Jusqu’à présent, l’allocation familiale permet à de nombreuses familles de disposer d’un revenu décent. Car il faut savoir que le revenu d’intégration en Belgique est trop bas pour permettre de vivre dignement. Une étude du SPF Sécurité sociale[2] indique que le revenu d’intégration pour un couple avec enfants atteint à peine 70 % du seuil de pauvreté européen. D’un point de vue éthique, c’est bien sûr inacceptable, mais cette politique est également contre-productive vis-à-vis du marché du travail. Si vous privez les gens des moyens d’investir en eux-mêmes, il sera difficile de les orienter vers un emploi durable.
On pourrait avancer qu’en période de restrictions budgétaires, il faut se serrer la ceinture. Si l’on part du principe restrictif que la politique sociale est un coût et non un investissement, la nouvelle méthode de calcul du revenu d’intégration pourrait encore à tout le moins être étudiée. Mais même cet argument ne tient pas la route. Le cabinet Van Bossuyt admet qu’il n’a aucune idée du montant que cette mesure permettra d’économiser. La réforme du calcul du revenu d’intégration est donc purement idéologique.
La Coalition pour un CPAS humain, le réseau BMIN et la Plateforme Stop au Statut de Cohabitant.e estiment que les bénéficiaires du revenu d’intégration, les travailleurs sociaux, et, en fait, l’ensemble de notre société méritent mieux qu’une politique qui privilégie la méfiance plutôt que l’humanité… même à une époque où des « documentaires » tendancieux et stigmatisants comme celui de Christophe Deborsu dominent la rue de la Loi. Nous appelons donc la ministre Van Bossuyt à revenir sur cette décision. Tout le monde y gagne si le revenu d’intégration sociale est un tremplin et non un mécanisme d’exclusion.
La Coalition pour un CPAS humain, le réseau BMIN et la Plateforme Stop au Statut de Cohabitant.e
[1] Vlaams ABVV et ACOD (2025), « Werkloosheid beperken in de tijd. Zijn onze OCMW’s hier klaar voor? »
[2] SPF Sécurité sociale (2024), « Évolution de la situation sociale et de la protection sociale en Belgique 2024 – Protection sociale en Belgique : amélioration de l’adéquation, persistance des écarts de pauvreté »