Carte blanche

Non, chaque ménage belge ne paiera pas 6.000 euros pour la Défense

Près de 6.000 euros par ménage pour l’Otan: ce chiffre choc a marqué plus d’un esprit. Mais cette estimation, reprise sans nuance, repose sur une lecture erronée du financement de la Défense, selon Wally Struys, professeur à l’Ecole Royale Militaire.

Dans plusieurs médias flamands, le professeur Geert Peersman (Université de Gand) a récemment annoncé que chaque famille belge allait payer 6.000 euros pour la Défense. Cette interprétation a été reprise avec enthousiasme dans les réseaux sociaux: il s’agit là en effet de chiffres très spectaculaires.

Cependant, cette présentation est non seulement trompeuse, mais aussi incorrecte, tant sur le plan méthodologique que dans son approche de fond.

Geert Peersman s’appuie sur une moyenne arithmétique, pratique pour comparer et facile à expliquer. Mais en raisonnant par ménage (alors qu’un calcul par habitant serait plus pertinent), il gomme les différences de revenu ou de taille des foyers. Cette méthode suppose une répartition uniforme et, surtout, entretient l’illusion qu’un ménage devrait effectivement «sortir» ces 6.000 euros de sa poche pour financer la Défense.

La véritable promesse à l’Otan

Si son calcul est mathématiquement correct, il est cependant fondé sur une hypothèse extrême et non confirmée par les décisions politiques. La Belgique a certes annoncé au Sommet de l’Otan à La Haye son alignement sur cet objectif, mais les divisions gouvernementales ont ramené l’ambition à un niveau bien inférieur: 2% du PIB jusqu’en 2033, puis 2,5% en 2034. La projection de Geert Peersman repose donc sur un scénario hypothétique qui ne se concrétiserait de toute manière pas avant 2035.

«La projection de Geert Peersman repose sur un scénario hypothétique qui ne se concrétiserait de toute manière pas avant 2035.»

A titre de comparaison, selon les chiffres définitifs de 2024, les dépenses de défense se sont élevées à 1.534 euros par ménage (pour 1,30% du PIB). Avec l’objectif des 2% en 2025, la charge prévue atteindrait 2.337 euros par ménage. Nous restons donc loin des 6.000  euros évoqués.

Les pensions de la Défense: une part sous-estimée des dépenses

Relevons que dans les 2% actuels, comme dans les 3,5% futurs, la définition des dépenses de défense inclut également les pensions du personnel de la Défense; en 2024, il s’agissait de 1,9 milliard d’euros, qui gonflent la note sans augmenter la capacité! Dans son raisonnement, mon collègue de Gand les impute également au ménage belge moyen…

Le fameux ratio dépenses de défense/PIB: mythe et réalité

En outre, se baser sur les 5% est incorrect dans les faits, trompeur même! En effet, les Etats membres de l’Otan se sont mis d’accord pour augmenter les dépenses de défense de l’ancienne norme des 2% à 3,5% (et non 5%!) du PIB, et de consacrer 1,5% à des investissements dans la sécurité au sens large, tels que l’infrastructure et la cybersécurité.

La Défense est un bien public, pas privé!

Plus fondamentalement, Geert Peersman donne à penser que le financement de la défense est effectué directement par les ménages. Il s’agit là d’une erreur conceptuelle fondamentale! En effet, la défense est un bien public, et non un bien privé. Il n’est pas produit par des individus ou des entreprises privées, mais par l’Etat. Il n’est pas acheté sur un marché, mais fourni par l’Etat à tous.

En tant que bien public, la Défense présente les propriétés de non-exclusion et de non-rivalité. Elle ne peut pas dépendre des choix individuels des ménages, car beaucoup refuseraient de payer et adopteraient un comportement de free rider (passager clandestin). Seul l’Etat peut assurer que chacun en bénéficie de manière égale et garantir cette protection collective.

Au-delà des slogans et des calculs simplistes

Parler d’une facture de 6.000  euros par ménage revient à présenter comme certain et imminent un scénario que le gouvernement a écarté au moins jusqu’à l’horizon 2035. Cette arithmétique simpliste et trompeuse laisse croire aux ménages qu’ils devront directement payer, foyer par foyer, le coût d’un bien public réparti de façon purement artificielle. Il vaudrait mieux poser la vraie question: comment planifier, répartir et financer de manière équitable les moyens supplémentaires consacrés à la Défense?

Wally Struys

Professeur émérite à l’ERM

Titulaire du cours de Defence Economics

(Le titre est de la rédaction. Titre original: «Défense: non, ce ne sera pas 6.000 € par ménage!»)

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