Carte blanche

Mur budgétaire: le gouvernement De Wever peut-il éviter l’austérité et l’ajustement brutal?

Alors que la Belgique s’apprête à remettre son plan d’ajustement pluriannuel, l’enjeu dépasse la simple arithmétique, selon Elona Zhana, écrivaine et chargée de cours en finances publiques. Ce qui se joue, c’est la crédibilité d’un Etat.

La Belgique entre en 2025 avec une ardoise difficile à ignorer: un déficit structurel supérieur à 4% du PIB, des finances publiques sous surveillance renforcée, et une obligation, imposée par l’Europe, de tracer une trajectoire crédible de redressement. Depuis la réforme du pacte de stabilité, les règles ont changé, mais pas l’urgence: d’ici la fin de l’année, le gouvernement fédéral devra présenter un plan d’ajustement pluriannuel, sans quoi la sanction sera économique autant que politique.

Et pourtant, le débat reste discret. Le gouvernement De Wever I promet de «rétablir l’équilibre sans austérité», mais évite soigneusement de nommer les arbitrages à venir. Où ajuster? Faut-il réduire les dépenses, augmenter les recettes, ou oser redistribuer différemment? Derrière ces choix techniques se cache un dilemme fondamental: celui d’un pays qui voudrait préserver son modèle social sans en redéfinir les bases de financement.

Pourquoi la Belgique est en déséquilibre structurel depuis plus d’une décennie

Depuis la crise financière de 2008, la Belgique n’a jamais véritablement retrouvé l’équilibre budgétaire. Ce déséquilibre n’est pas seulement conjoncturel: il est enraciné dans la structure même de nos finances publiques. Trois moteurs alimentent ce déficit permanent.

Le premier est le poids croissant des dépenses sociales. Le vieillissement de la population accroît mécaniquement les dépenses de pensions et de soins de santé, deux postes dont la dynamique échappe largement aux gouvernements successifs. Contrairement à d’autres pays, la Belgique a peu réformé ces piliers, préférant la continuité au choc.

Le deuxième facteur tient à la faiblesse de la croissance potentielle. Le pays affiche un taux d’activité relativement élevé, mais sa productivité progresse peu. Résultat: les recettes fiscales stagnent, tandis que les besoins publics augmentent. Dans ce contexte, même une reprise économique ne suffit plus à compenser l’inertie budgétaire.

Enfin, le troisième verrou est institutionnel. Le morcellement des compétences entre niveaux de pouvoir rend tout ajustement difficile à coordonner. Les marges de manœuvre fiscales des régions et des entités fédérées sont exploitées à des fins concurrentielles, ce qui fragmente encore davantage la base imposable. L’Etat fédéral, lui, reste seul responsable du respect des engagements européens.

Ce que Bruxelles attend: le retour d’un cadre budgétaire plus strict

Après plusieurs années de suspension des règles européennes en raison du Covid et de la crise énergétique, le Pacte de stabilité et de croissance a été réformé, mais pas abandonné. Depuis 2024, les Etats membres doivent à nouveau soumettre des trajectoires budgétaires pluriannuelles, assorties de réformes structurelles crédibles. L’ère du «quoi qu’il en coûte» est terminée –place à l’équilibre négocié.

La nouvelle version du pacte se veut plus flexible, plus réaliste, mais elle n’est pas moins exigeante. Chaque pays dispose désormais d’une trajectoire d’ajustement personnalisée sur 4 à 7 ans, en fonction de son niveau de dette et de déficit. En échange de cette souplesse, les Etats sont tenus de présenter des plans détaillés, chiffrés, assortis de mesures concrètes. Les ajustements ne doivent pas seulement réduire les déficits: ils doivent aussi «favoriser la croissance et la soutenabilité sociale».

Pour la Belgique, cette exigence est double: il ne s’agit pas seulement de faire des économies, mais de montrer que l’on peut redresser les comptes sans compromettre le tissu social. Le gouvernement De Wever I devra convaincre non seulement la Commission, mais aussi les marchés financiers, que la trajectoire belge est crédible –et surtout, tenable politiquement.

«Il ne s’agit pas seulement de faire des économies, mais de montrer que l’on peut redresser les comptes sans compromettre le tissu social.»

Ce que le gouvernement De Wever I propose et ce qu’il écarte

Contrairement à plusieurs majorités précédentes, le gouvernement De Wever I affiche une volonté réformatrice assumée. Son objectif: maîtriser les dépenses publiques et restaurer l’équilibre budgétaire sans s’engager dans une hausse généralisée de la fiscalité. Mais cette ambition, si elle marque une inflexion, se heurte à une réalité bien connue: un appareil institutionnel fragmenté, ancré dans une culture où la dépense publique reste peu questionnée et les réformes structurelles toujours complexes à mettre en œuvre.

La Belgique conjugue un modèle social généreux et une gouvernance éclatée, où chaque réforme implique des compromis entre niveaux de pouvoir, sensibilités régionales et intérêts sectoriels. Dans ce contexte, toute tentative de redéploiement ou de hiérarchisation budgétaire rencontre une résistance structurelle, bien au-delà des clivages partisans.

Le gouvernement entend néanmoins agir dans ce cadre contraint, en privilégiant l’ajustement par la dépense. Ce choix peut être critiqué pour son asymétrie –il écarte de facto le débat sur de nouvelles recettes– mais il s’inscrit dans une lecture cohérente des priorités: restaurer la soutenabilité sans entamer la compétitivité. Le débat reste ouvert, et c’est là qu’il doit avoir lieu.

L’alternative à l’austérité existe-t-elle encore?

Face à l’impératif de redressement, l’austérité n’est pas une fatalité. Plusieurs leviers permettent de corriger les comptes sans fragiliser davantage la cohésion sociale ou comprimer l’investissement public. Encore faut-il les activer avec cohérence et lisibilité.

Le premier levier est l’élargissement de l’assiette fiscale. La Belgique dispose de nombreuses niches fiscales, dérogations et régimes particuliers dont l’efficacité économique reste douteuse. Leur suppression progressive pourrait dégager des marges sans toucher aux taux, et sans renvoyer un signal anti-investissement.

Deuxième levier: la fiscalité environnementale, encore marginale malgré les engagements climatiques. En alignant mieux les incitants fiscaux avec les objectifs de transition écologique, l’Etat pourrait à la fois financer l’investissement vert et rendre le système plus soutenable à long terme.

Enfin, reste la question sensible du capital financier et du patrimoine haut de gamme. Là encore, il ne s’agit pas nécessairement d’introduire un impôt sur la fortune au sens classique, mais d’évaluer avec pragmatisme les possibilités de contribution de catégories aujourd’hui peu mises à contribution, comme les plus-values mobilières ou certaines formes d’optimisation successorale.

Aucune de ces options ne constitue une solution miracle. Mais leur combinaison, pensée dans une logique de modernisation plutôt que de punition, pourrait permettre un ajustement progressif, mieux réparti et moins destructeur que les coupes linéaires.

Quels sont les risques de l’inaction budgétaire?

Repousser indéfiniment les arbitrages n’est pas une stratégie neutre. Le coût de l’inaction budgétaire est d’abord économique : avec une dette publique qui frôle les 110% du PIB et des taux d’intérêt durablement relevés, chaque trimestre d’immobilisme aggrave la charge de la dette et réduit les marges de manœuvre futures.

Vient ensuite le risque de crédibilité. La Belgique est déjà perçue comme un Etat lent à réformer, pris dans un labyrinthe institutionnel qui dilue les responsabilités. Une trajectoire budgétaire trop vague ou trop timide pourrait être mal accueillie par la Commission européenne, voire par les agences de notation.

«Avec une dette publique qui frôle les 110% du PIB et des taux d’intérêt durablement relevés, chaque trimestre d’immobilisme aggrave la charge de la dette et réduit les marges de manœuvre futures.»

Le troisième risque est politique. Dans un pays où les tensions communautaires restent vives, l’absence de pilotage clair du budget peut renforcer les discours de repli ou de défiance vis-à-vis de l’Etat fédéral.

Enfin, l’inaction budgétaire étouffe la capacité de réforme structurelle. Sans marges financières, impossible d’investir dans l’enseignement, l’innovation ou la transition climatique.

Réformer, oui, mais dans quel cadre politique?

Le défi budgétaire dépasse les équations comptables. Il touche à l’essence du pacte politique et social: que veut-on préserver, que peut-on transformer, et selon quelles priorités? Le plan que le gouvernement remettra à Bruxelles sera jugé autant sur sa clarté que sur son ambition.

Le choix n’est pas entre austérité et laxisme. Il est entre une réforme subie et une réforme pilotée. Entre un ajustement brutal à la faveur d’une crise, et un rééquilibrage négocié dans le cadre d’une vision stratégique. La Belgique a encore le temps de choisir la seconde voie. Mais ce temps, désormais, est compté.

Elona Zhana

Ecrivaine et chargée de cours en finances publiques

Le titre est de la rédaction (Titre original: Le gouvernement De Wever face au mur budgétaire: peut-on encore éviter l’ajustement brutal?)

 

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