Carte blanche

Le retour du projet de loi sur les visites domiciliaires: «Vous n’êtes pas des citoyens mais des sujets et votre petit monde va rétrécir»

En six mois, le gouvernement fédéral a fait adopter l’essentiel de son programme. Mais derrière cette efficacité se cache, selon le député bruxellois Ecolo John Pitseys, un tournant idéologique inquiétant, illustré par le projet de loi sur les visites domiciliaires.

Le gouvernement fédéral est efficace. Si elle se plaît à mettre en scène les divergences politiques existant en son sein, la majorité en place sera parvenue à faire passer une bonne part de son programme en six mois seulement.

Les travailleurs savent désormais que le travail presté à 23 heures n’est pas du travail de nuit, que chaque accident de la vie se traduira par une diminution de leur pension, et que les mères solo n’ont –la citation du président du MR mérite d’être rappelée– qu’à «se débrouiller» si la fin de mois commence le 18 suite à leur exclusion du chômage. Plutôt qu’un plan de «réformes nécessaires», la loi-programme adoptée est une revanche idéologique destinée à enseigner aux Belges que tous ceux qui ne sont pas les premiers de cordée doivent être une force de travail docile, et que ceux qui ne s’y résolvent pas méritent la pauvreté qui les guette. Dans ce cadre, parmi tous les coups de fouet infligés, certains sont particulièrement graves, même et surtout quand ils sont plus discrets: pour en toucher un mot, le projet de loi visant à autoriser les visites domiciliaires est sans doute l’un des marqueurs idéologiques les plus forts de la majorité fédérale.

Le gouvernement va soumettre à la Chambre des représentants un avant-projet de loi autorisant la police à pénétrer dans les domiciles sans l’accord de leurs occupants, afin d’arrêter puis de placer en détention administrative les personnes considérées comme une «menace pour la sécurité du pays».

Il faut comprendre ce que cela signifie. Les conservateurs aiment affirmer que la «sécurité est la première des libertés» sans réaliser que le terme utilisé est impropre. La sécurité définit la capacité à préserver les conditions d’une situation donnée, dont la nature varie forcément en fonction de l’objet concerné: on parlera ainsi de sécurité intérieure quand il s’agit d’assurer la police au sein de la société, mais on parlera ailleurs de sécurité sociale, alimentaire, sanitaire, nucléaire, etc. A cet égard, la recherche de la sécurité constitue un objectif politique légitime, mais elle n’entretient pas de lien direct avec la protection de nos libertés. Au contraire, la préservation des conditions collectives d’existence est un motif souvent invoqué pour réduire le champ des libertés individuelles.

«Le droit à la sûreté est fondamental pour un progressiste car c’est une question d’égalité. Il l’est pour un libéral car c’est une question de liberté. Il l’est aussi pour un conservateur car il limite le pouvoir de l’Etat sur la société.»

Ce n’est pas la sécurité, mais la sûreté des biens et des personnes qui est un des éléments originels de nos libertés, et qui est consacré à ce titre dans l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Nos corps sont inviolables, c’est la raison pour laquelle on ne peut nous arrêter sans raison. Nos pensées sont inviolables, c’est pour cela qu’on n’a pas le droit de lire nos correspondances privées. Et notre chez soi est inviolable, c’est pour cela qu’on ne rentre pas dans nos maisons sans autorisation préalable. Voilà la «première de nos libertés»: le droit à la sûreté. Le droit à la sûreté est fondamental pour un progressiste car c’est une question d’égalité. Il l’est pour un libéral car c’est une question de liberté. Il l’est aussi pour un conservateur car il limite le pouvoir de l’Etat sur la société.

L’Arizona veut l’inverse. Le gouvernement fédéral autorisera désormais l’entrée dans les domiciles lorsqu’il est présumé qu’une personne représentant une menace pour la sécurité s’y trouve. Certes, la visite domiciliaire doit recueillir l’aval d’un juge d’instruction. Mais ce détour procédural fait partie du problème. L’avant-projet de loi prend les apparences d’un dispositif pénal. Mais en réalité, il s’agit d’un dispositif de répression sécuritaire. Le critère de l’intervention n’est pas la commission d’un crime, qu’on va poursuivre en s’appuyant sur un processus judiciaire. Il est celui de la présence d’une menace perçue, qu’on va rhabiller en crime. Le sans-papier n’est pas poursuivi pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il pourrait faire, pour ce qu’il représente, et au nom des craintes collectives qu’il inspire. Et nos domiciles pourront désormais être violés non pas parce qu’il est prouvé que nous avons commis un crime mais parce que nos actes –au premier rang desquels figure l’hébergement solidaire de personnes sans-papiers– sont considérés comme hostiles à l’ordre social.

Ces visites domiciliaires ne visent pas tant à faire appliquer les règles qu’à conditionner les citoyens au projet politique du gouvernement et à renforcer l’imposition d’injonctions dans le débat public. Vous n’êtes plus chez vous quand nous déciderons que vous menacez l’ordre public. Vous n’avez rien à craindre, à condition de n’avoir rien à vous reprocher –et c’est nous qui en décidons. La solidarité avec les personnes dépourvues de documents de séjour n’est pas seulement considérée comme un crime, mais comme un facteur de déstabilisation sociale. Vous n’êtes pas des citoyens mais des sujets et votre petit monde va rétrécir.

Ceux et celles qui désirent ce type de société soutiennent les visites domiciliaires. Ceux et celles qui estiment que notre société et nos libertés individuelles méritent mieux que ça s’y opposent, y compris et surtout au sein du gouvernement fédéral.

Le titre est de la rédaction (titre original: «Nos libertés nous appartiennent: le projet de loi autorisant les visites domiciliaires doit être retiré»)

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