Carte blanche

Le recul progressif (et inquiétant) de l’Etat social au profit de logiques gestionnaires

Alors que la Belgique traverse une recomposition institutionnelle et économique majeure, la Fédération Laïque de l’Aide à la Jeunesse (FLAJ) et le Groupement des Services Publics agréés de l’Aide à la Jeunesse alertent sur le recul progressif de l’Etat social au profit de logiques gestionnaires.

La précarité n’est plus exceptionnelle: elle s’installe comme norme sociale. Plus de 1,6 million de Belges vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq. La disparition du Fonds de participation et d’activation sociale a privé des milliers de familles de soutiens essentiels. Sur le terrain, les travailleurs sociaux constatent la fragmentation des politiques et l’épuisement des acteurs. Derrière la rhétorique de la «rationalisation», les institutions s’éloignent des citoyens et la débrouille remplace la prévention.

Des politiques publiques déconnectées

La Déclaration de Politique Communautaire 2024-2029 affiche des ambitions sociales, mais l’austérité budgétaire en neutralise la portée. La cohésion promise s’effrite au profit d’une solidarité conditionnée. Les travailleurs sociaux voient affluer vers les CPAS des publics jadis pris en charge par le chômage, soumis désormais à des obligations accrues. Résultat : perte de droits, de repères et de confiance dans un système saturé où l’accompagnement devient une gestion d’urgence.

La logique managériale du social

La FLAJ et le Groupement dénoncent la «marchandisation rampante» de l’aide à la jeunesse: les jeunes deviennent des « bénéficiaires », les usagers des « clients », les projets doivent prouver leur «performance». Cette approche, calquée sur le privé, nie la relation humaine au cœur du travail social. La suppression du financement du bien-être psychologique des jeunes illustre cette tendance : la prévention cède la place au discours sur la «résilience» individuelle. L’État délègue sa responsabilité en glorifiant l’autonomie alors que les conditions de vie se dégradent.

Une chaîne de prévention sous tension

Chaque recul en amont produit des drames en aval. Le manque d’aides de base entraîne décrochage, isolement, placements d’enfants. Les services résidentiels saturés n’assurent plus leur mission de relais temporaire. Seuls 14 % des jeunes placés retournent dans leur famille, signe d’un système essoufflé. La logique d’urgence supplante la prévention et vide de sens la solidarité publique, réduite à une gestion administrative de la misère.

La jeunesse, angle mort des réformes

La réforme de la prévention, intégrée à la «revue des dépenses publiques 2025», menace de réduire les missions éducatives à des indicateurs chiffrés. Cette technocratisation du social compromet le secret professionnel et l’autonomie des travailleurs. Nos fédérations défendent une approche de proximité : la prévention naît dans la rencontre, l’écoute, la participation — non sous contrainte de résultats.

Les femmes, premières victimes

Les réformes frappent d’abord les mères seules et les femmes précaires. L’absence de structures d’accueil et le plafonnement des aides accentuent la pauvreté des familles monoparentales : 43 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Les règles de cohabitation, les emplois fragmentés et le manque de crèches punissent la solidarité familiale. Investir dans l’accueil et l’égalité professionnelle est une mesure de prévention essentielle.

Pour une politique de prévention ambitieuse

Nous plaidons pour un refinancement structurel de l’aide à la jeunesse et une articulation réelle avec les politiques d’enseignement, de logement et d’emploi. Nous défendons le secret professionnel, la reconnaissance salariale des travailleurs sociaux et la cohérence entre prévention et protection. Les services résidentiels et d’accompagnement doivent retrouver leur rôle : soutenir sans se substituer. La prévention, loin d’être un coût, est un investissement social durable.

Le secteur fait face à une crise systémique: celle d’un Etat social désinvesti qui délègue et privatise la solidarité. Sous couvert d’efficience, la démocratie renonce à sa mission protectrice. L’Aide à la Jeunesse, maillon essentiel du front de la dignité humaine, se voit fragilisée au moment où les besoins explosent.

Nous appelons à une refondation solidaire des politiques sociales: un service public fort, un financement structurel, des droits garantis et une revalorisation du travail social, éducatif et culturel.

Reconstruire l’Etat social, rappellent-ils, c’est investir dans l’avenir de nos enfants plutôt que gérer la survie du présent.

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