Carte blanche

La psychologie des excuses: pourquoi évitons-nous de reconnaître nos erreurs? (carte blanche)

«L’authenticité repose sur le courage d’affronter consciemment ses propres limites, sa culpabilité et ses échecs», estime Margareta Hanes, docteur en philosophie politique (VUB).

L’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans la société actuelle est de reconnaître nos propres erreurs. Plus encore, nous cherchons un bouc émissaire pour rejeter notre culpabilité et ainsi nous décharger du maximum de responsabilités.

Les crises sociales et économiques, les guerres, les tensions d’avant-guerre, bref, toutes les situations qui provoquent le chaos et une confusion générale, engendrent frustration et malaise, que nous tentons de surmonter par divers moyens. Par exemple, la culture de l’annulation constitue une forme de défense adoptée pour se distancier des situations inconfortables. Le fait de devoir affronter des opinions opposées nous irrite, car elles risquent de bouleverser notre système de valeurs et de principes. Il est donc plus facile de boycotter ou d’accuser ceux qui nous contredisent. Nous ne voulons pas comprendre que ce ne sont pas ces idées qui seront ainsi anéanties, mais le processus même de la pensée, la réflexion qui nous caractérise en tant qu’êtres humains.

Les excuses et les accusations sont monnaie courante, et la guerre en fournit un exemple extrême. Personne ne veut être considéré comme l’«agresseur». Le recours à la violence devient acceptable aux yeux de l’agresseur si la souffrance infligée à autrui s’intègre à un récit moral où l’ennemi incarne le mal. En 1957, Leon Festinger a introduit la théorie de la dissonance cognitive, selon laquelle une discordance entre nos idées, nos valeurs ou entre nos préceptes et nos comportements provoque un malaise psychologique que nous tentons de contrebalancer en modifiant nos croyances, notre comportement ou en trouvant des justifications qui atténuent le conflit ressenti. Les destructions causées, les civils tués et les tortures ne sont pas présentés comme une fin en soi, mais des justifications morales leur sont systématiquement trouvées, telles que «nous luttons pour notre libération», «nous défendons la démocratie», «nous éliminons les injustices commises», etc. On ne peut pas prêcher la paix comme le bien suprême d’un côté et recourir à la violence de l’autre. Certains redéfinissent ainsi la moralité des actions, et la violence n’est plus perçue comme un mal absolu, mais comme un instrument légitime pouvant prévenir un mal jugé plus grand.

L’excuse se manifeste d’abord par une minimisation ou un déni de culpabilité. Si l’acte commis est reconnu, sa gravité tend à être atténuée, et la culpabilité personnelle est ignorée ou niée. René Girard a analysé le mécanisme du bouc émissaire, par lequel la culpabilité est projetée sur une victime expiatoire – coupable ou non – qu’il convient d’éliminer, d’exclure ou de punir afin de rétablir l’ordre et de donner l’illusion que justice a été faite. Le bouc émissaire sert d’excuse collective pour éviter de reconnaître sa propre responsabilité, car sinon il y aurait une obligation morale de changer de comportement. Toute la culpabilité et la colère collectives sont projetées sur le bouc émissaire, perçu comme responsable du dommage, même lorsque la responsabilité réelle est partagée entre plusieurs acteurs. Le discours de haine devient alors un outil pour justifier l’agression et mobiliser le groupe contre la victime choisie.

Quand la vérité blesse, nous nous réfugions derrière des excuses. Même si elles semblent préserver notre équilibre intérieur, elles freinent notre maturité psychologique et morale. On y parvient, disait le philosophe et psychiatre Karl Jaspers, lorsque nous affrontons honnêtement notre part de culpabilité et assumons les conséquences de nos actes. Jaspers distingue quatre types de culpabilité: légale (reconnue et punie par la loi: meurtre, vol, corruption), morale (violation de sa propre conscience ou des normes éthiques: trahison, mensonge, remords), existentielle (passivité face à la souffrance et à l’injustice), métaphysique (liée à la souffrance universelle: famine, guerre, catastrophes naturelles); chacune reflète une manière différente dont l’homme peut assumer ses responsabilités. L’authenticité repose sur le courage d’affronter consciemment ses propres limites, sa culpabilité et ses échecs.

Les excuses collectives et la projection de la culpabilité sur autrui non seulement entravent l’évolution morale, mais aussi la liberté personnelle, car, comme le soutenait Jaspers, la liberté ne se réduit pas à l’indépendance extérieure – c’est-à-dire à faire ce que l’on veut – mais implique également la soumission à la vérité et à la responsabilité. Sans vérité, il n’y a pas de liberté, et sans liberté, il n’y a pas de vérité.

Margareta Hanes, docteur en philosophie politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB)

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