Alors que les débats sur la reconnaissance d’Israël ont lieu jeudi à la Chambre, le député fédéral François De Smet (DéFI) expose les raisons pour lesquelles, selon lui, la solution à deux Etats est la seule envisageable.
En creux de la guerre totale que se livrent le Hamas et le gouvernement israélien, et dont les victimes sont les civils (otages israéliens et victimes de la guerre à Gaza), la reconnaissance d’un Etat palestinien est nécessaire pour une seule raison: rendre la solution à deux Etats encore possible. Parce que c’est le seul chemin de la paix.
Il y a un gigantesque non-dit dans l’absence de perspectives actuelles de la part de ceux qui refusent la solution à deux Etats.
La réalité est d’abord démographique: environ 9,9 millions d’Israéliens dont 7,2 millions de Juifs et 2,1 millions d’Arabes israéliens. Dans les territoires occupés depuis 1967, environ cinq millions de Palestiniens répartis entre la Cisjordanie et Gaza. Un rapport de force démographique qui rend impossible l’absence de solution à long terme, sauf à se résigner à la succession annoncée de guerres, vendettas, attentats, et drames constants.
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Il est clair que le gouvernement israélien actuel ne veut pas de la solution à deux Etats. Mais plus largement: ceux qui, depuis des décennies, se donnent du mal avec succès pour saboter la solution à deux Etats, que veulent-ils? Que proposent-ils?
Du côté du Hamas, c’est simple: une vision fanatique, islamiste, religieuse sans aucun compromis possible, qui vise un plan à plusieurs générations pour une Palestine sans Israël, passant par la mise au ban d’Israël comme Etat-paria (de ce point de vue, le plan se déroule malheureusement à merveille).
Mais du côté du gouvernement israélien, quelle est la vision? A force d’avoir démonté les partisans de la paix comme de doux rêveurs et des naïfs profonds? A force d’avoir érigé des murs, décrédibilisé l’autorité palestinienne, renforcé le Hamas, renforcé la colonisation, et à présent d’avoir matériellement détruit Gaza? Jamais la solution à deux Etats n’a été soutenue par un membre du gouvernement de droite et d’extrême droite actuel. Et dans l’opinion –en particulier depuis le traumatisme du 7 octobre– une majorité de citoyens est désormais contre.
Or, la solution fédéraliste d’un Etat unique binational –qui a longtemps été soutenue par des précurseurs du sionisme eux-mêmes, comme le démontre l’historien israélien Shlomo Sand– semble a fortiori elle aussi aujourd’hui irréaliste. Elle détruirait l’essence du projet sioniste et ne pourrait guère offrir une quelconque stabilisation à des peuples qui peuvent arguer de ressentiments et de traumatismes mutuels sur de longues années.
Dès lors, si on ne veut ni de la solution à deux Etats ni de celle à un Etat binational, par définition, on est en faveur d’une situation de non-droit et sans perspective: apartheid, colonisation, domination et incitation douce ou ferme à l’exode. Ceux qui refusent la solution à deux Etats doivent au minimum avoir le cran d’assumer cette vision, dans ce qu’elle a d’inhumain.
On ne demande rien au Hamas ; ce sont des terroristes. En revanche Israël, malgré son gouvernement actuel, est une démocratie reposant sur des principes et des valeurs. Et il est normal d’être exigeant à son égard.
«Je tiens autant que ceux-là à l’existence d’Israël. Mais nous n’avons peut-être pas la même définition de l’amitié.»
Je me sens aussi ami d’Israël et de la communauté juive que d’autres personnalités politiques qui soutiennent, elles, sans conditions, l’action de ce gouvernement de droite et d’extrême-droite. Je tiens autant que ceux-là à l’existence d’Israël. Mais nous n’avons peut-être pas la même définition de l’amitié.
L’amitié ce n’est pas dire à votre ami ce qu’il veut entendre.
C’est lui dire la vérité.
Et cette vérité, la voici:
- Le pogrom du 7 octobre lancé par les fanatiques islamistes du Hamas avait pour but de traumatiser la population israélienne et de rendre toute paix impossible pour des décennies.
- En rasant Gaza, en tuant 60.000 personnes dont 18.000 enfants, le gouvernement d’Israël réalise les plans du Hamas, perd sa crédibilité et son sens moral, y compris envers la jeunesse occidentale, pour des décennies. Ce sans même parvenir à libérer les otages, dont le sauvetage doit rester une priorité.
- Le gouvernement israélien compte en son sein des ministres ayant appelé ouvertement à une forme d’épuration ethnique, et compte sur les droites radicales européennes pour réduire ce conflit à une «guerre de civilisations» (Palestiniens = Hamas = islamistes).
- Ce narratif civilisationnel permet à l‘extrême-droite israélienne de se conforter dans l’exonération de devoir trouver un avenir à ses voisins que sont et resteront les Palestiniens. Or, de la même manière que les Israéliens ne sont pas responsables des actions de leur gouvernement, la lutte nationale palestinienne ne se réduit pas au projet islamiste et fanatique du Hamas.
- Il serait non seulement immoral et ignoble, mais aussi matériellement impossible, de déporter cinq millions de Palestiniens en-dehors de Gaza et de Cisjordanie.
- Tous les combattants palestiniens, terroristes ou non, sont nés dans des camps de réfugiés et ne feront que transmettre de génération en génération une haine impossible à juguler. Aucune surpuissance, y compris l’arme nucléaire, ne peut l’emporter contre l’absence de perspectives.
- La communauté internationale, depuis le plan de partage de 1947, a une responsabilité historique indéniable et possède la légitimité de remettre sur les rails un processus de paix permettant que demain deux Etats, Israël et la Palestine, puissent coexister en paix.
Pour toutes ces raisons, il faut reconnaître la Palestine. Tant qu’il y a encore quelque chose à reconnaître. Certes, la Palestine ne bénéficie à ce jour ni d’un territoire clair ni d’un gouvernement apte à administrer ; mais elle dispose bien d’un peuple.
L’essentiel est que la solution à deux Etats soit encore possible demain, et d’envoyer le message que la communauté internationale n’acceptera rien d’autre.
Cette reconnaissance ne doit pas être inconditionnelle: ne pas l’offrir avant que tous les otages israéliens soient libérés serait légitime. Refuser tout rôle au Hamas dans la gestion ou la représentation de cet Etat est impératif. Mais attendre que cette reconnaissance vienne sanctionner un processus de paix au point mort n’est plus possible.
Reconnaître la Palestine, c’est simplement tenter de sauver la solution à deux Etats et la replacer comme horizon. Afin de sortir du récit de guerre sans fin qui nous est imposé par les protagonistes de cette situation, sans égard pour l’avenir et le bien-être réel de leurs populations respectives.
François De Smet, député fédéral DéFI
Le titre est de la rédaction. Titre original: «Deux Etats ou la guerre éternelle»