Carte blanche

Financement des associations: «Une atteinte à la démocratie en Fédération Wallonie-Bruxelles»

Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles envisage une réforme visant à restreindre le financement des associations reconnues pour leur engagement politique. La Fédération des Employeurs des Secteurs de l’Education permanente et de la Formation des Adultes (1) alerte: c’est la démocratie qui est menacée.

Depuis quelques semaines circule un projet inquiétant, présenté sous couvert de «lutter contre le financement indirect des partis politiques». A la lecture de la note de cadrage intercabinet dont on a pu prendre connaissance, une évidence s’impose: il s’agit d’une mesure orientée, discutée à huis clos, ciblant certaines associations portant des discours critiques pour réaliser des économies budgétaires. Une violation frontale et inédite de l’Etat de droit.

Ce projet de réforme viole une série de principes constitutionnels et légaux:

• La Constitution, en ses articles 19 et 27, qui garantit la liberté d’expression et la liberté d’association, de même que ses articles 10 et 11 sur l’égalité et la non-discrimination qui sont piétinés par le ciblage discriminatoire d’associations identifiées à l’avance.

• La Loi du 16 juillet 1973, dite du Pacte culturel, contredite dans son esprit même: elle protège le pluralisme, l’impose dans la conduite des politiques culturelles et interdit à tout pouvoir politique d’exclure d’un financement des courants idéologiques ou philosophiques démocratiques.

En outre, la définition envisagée pour exclure lesdites associations repose sur des critères flous ou abscons (composition du conseil d’administration, usage de symboles, partage de locaux, affiliations supposées…). Une telle approche ouvre la voie à l’arbitraire, voire à l’ouverture de la chasse (aux sorcières)… C’est de saison!

Toutes ces dérives aujourd’hui sur la table du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont également pointées dans l’avis rendu par l’Institut Fédéral des Droits Humains relatif à l’avant-projet de loi qui tente d’interdire des associations dites «radicales» au niveau fédéral.

Un affaiblissement délibéré de la démocratie et de notre mémoire collective

En prétendant lutter contre un soi-disant financement indirect des partis, le projet vise en réalité à affaiblir des associations qui jouent un rôle de contre-pouvoir et d’alternatives. Ces structures, bien au-delà des approches partisanes, sont des espaces de débat, d’émancipation, de mémoire collective, d’action et d’analyse critiques qui répondent aux missions décrétales pour lesquelles elles sont reconnues et contrôlées. Supprimer leur financement, c’est réduire leur capacité à penser et à agir… et donc affaiblir la démocratie elle-même. A titre d’exemple, les centres d’archives ciblés dans la note et dont les missions et les financements ont pourtant été revalorisés récemment (cherchez la cohérence…), rencontrent des missions d’intérêt général inestimables pour la collectivité en préservant la mémoire et le sens de l’action associative et politique. «Bientôt, entretenir un rapport dynamique au passé sera peut-être le premier signe d’une résistance mentale et intellectuelle à toutes les œillères qu’on veut nous imposer pour filer droit et, surtout, pour conserver l’ordre établi, qui profite à une minorité de la population.» (2)

«Supprimer leur financement, c’est réduire leur capacité à penser et à agir… et donc affaiblir la démocratie elle-même.»

L’Education permanente constitue précisément l’inverse d’un danger pour la démocratie: elle en est le cœur battant en visant l’émancipation des citoyennes et citoyens, parfois fortement précarisés, capables dès lors de comprendre la société, de préserver la mémoire collective, de (re)prendre part au débat public, de formuler des alternatives, de contester, y compris le pouvoir en place! C’est une singularité belge francophone que beaucoup de pays nous envient: l’Etat finance le pluralisme idéologique et assume la critique de son propre fonctionnement. C’est plutôt sain pour une démocratie.

Un contexte mondial et local alarmant

Cette attaque contre le champ associatif en général et l’Education permanente en particulier ne peut être lue isolément. Elle s’inscrit dans un contexte international marqué par une fascisation croissante des sociétés: restriction des libertés, surveillance accrue, mise en cause des droits fondamentaux, désignation d’ennemis intérieurs, mise à l’index des corps intermédiaires…

Dans ce climat, réduire le financement de la société civile organisée revient à affaiblir l’un des derniers remparts face aux dérives autoritaires. C’est offrir un boulevard aux forces qui prospèrent sur la peur, la division et le repli.

Sauvegarder un bien commun inestimable

Il arrive que certaines tribunes s’attaquent au financement des associations d’Education permanente, les accusant tour à tour d’être partisanes ou de «dévoyer» l’argent public. Ces charges tiennent plus de la provocation que de la critique argumentée: les associations d’Education permanente alimentent une démocratie vivante qui se nourrit du débat, de visions politiques, du désaccord, de la contestation et de la participation active des citoyennes et des citoyens.

Nous le répétons: financer la démocratie, ce n’est pas financer indirectement des partis mais soutenir le droit de critiquer, le droit de penser autrement et le droit de construire collectivement une société plus juste, au risque de fâcher les pouvoirs en place.

Les attaques à l’encontre des associations subventionnées par la Fédération Wallonie- Bruxelles sont non seulement contradictoires avec les engagements politiques pris et rappelés à de nombreuses reprises au secteur, mais elles mettent en péril la cohérence des politiques culturelles de la Fédération.

Nous demandons donc l’abandon immédiat de ce projet éminemment dangereux et appelons à une réaffirmation claire du Pacte culturel: aucun pouvoir ne peut décider quelles voix doivent être réduites au silence.

La Fédération des Employeurs des Secteurs de l’Education permanente et de la Formation des Adultes

Le titre est de la rédaction (Titre original: «Dans une démocratie digne de ce nom, aucun pouvoir ne peut décider quelles voix doivent être réduites au silence!»)

(1) La Fesefa est la fédération représentative du secteur de l’Education permanente reconnue en vertu du Décret du 17 juillet 2003.

(2) Archiver, c’est (déjà) résister, par Andrianne Aline, p.31 in La Revue Nouvelle, n°6, 2025

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire