Carte blanche

Les économies de la FWB en sont-elles vraiment?

Parmi les récentes mesures d’austérité qui frappent démesurément les plus fragiles, la suppression des repas sains gratuits dans les écoles est particulièrement révélatrice, voire emblématique.

Ce programme bénéficie aujourd’hui à environ 400 écoles et 55.000 élèves parmi les plus défavorisés socioéconomiquement. Rappelons qu’un enfant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté en Wallonie, 4 enfants sur 10 à Bruxelles. Pour beaucoup, c’est le seul repas complet de la journée. Son abandon en 2026 représente moins de 0,14% du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, toute autre ligne restant égale dans son grand tableau budgétaire.

L’argument du gouvernement MR-Les Engagés pour justifier cette décision? Faire des économies pour maîtriser le déficit. Mais s’agit-il vraiment d’économies? Et à quels prix?

Un investissement rentable sacrifié

Un repas garanti à l’école lutte contre la pauvreté infantile et les inégalités et réduit la pression économique sur les ménages. De nombreuses études le démontrent: prévenir la pauvreté des enfants est un investissement particulièrement rentable pour la collectivité, qui évite des coûts sociaux bien plus importants à l’avenir et renforce l’égalité des chances. Alors, une économie, vraiment?

Un enfant bien nourri se concentre mieux, participe davantage, réussit plus facilement. La recherche établit un lien direct entre nutrition et performances scolaires. Un repas complet et sain quotidien améliore les apprentissages et les résultats scolaires, réduit le redoublement et le décrochage, phénomènes particulièrement coûteux pour l’enseignement et la société. Une économie, vraiment?

L’alimentation est un déterminant majeur du bien-être et de la santé. Des repas sains quotidiens diminuent l’obésité infantile et le diabète, et crée des habitudes alimentaires positives. C’est aussi un formidable outil d’éducation alimentaire et citoyenne : sensibilisation au goût, à l’équilibre nutritionnel, au respect du vivant, à la lutte contre le gaspillage… Un bénéfice à long terme pour la Sécurité sociale et une action efficace de la promotion de la santé car, en l’espèce, rien ne vaut l’exemple… Une économie, vraiment?

Ce programme soutient également la transition agricole durable via des marchés publics structurants pour la relocalisation de filières agroalimentaires écologiques dont notre territoire et nos agriculteurs ont besoin. Son financement était conditionné à l’achat de produits issus de fermes engagées dans des pratiques durables ou bio. La FUGEA rappelait récemment que ces débouchés sont essentiels pour la transition agroécologique wallonne. Les repas scolaires gratuits réduisent donc les coûts de santé futurs, soutiennent les producteurs locaux et créent de l’emploi. Une économie, vraiment?

Les prix réels d’une décision

Ainsi, la suppression satisfaite d’une ligne budgétaire aujourd’hui génère une multitude de coûts, immédiatement ou plus tard. L’effacement d’une politique de justice et de prévention se traduit en coûts humains, en souffrances, en inégalités dans la vie des enfants. Non, il n’y a pas d’économie, juste un aveuglement court-termiste et une pensée cloisonnée dans un tableau Excel.

Mais il y a un autre prix à payer à cette cécité politique, il est démocratique.

Cette décision démantèle une politique reconnue comme efficace et résonne comme une attaque contre la justice sociale et l’avenir des enfants. L’hypocrisie atteint son comble dans le cube de Viva for Life, où les mêmes responsables politiques tentent de remplacer leurs obligations par la charité.

Dans une société riche, garantir qu’aucun enfant n’ait faim à l’école devrait être une évidence et un symbole de justice. Les plus pauvres ont donc l’impression d’être une fois encore sacrifiés sur l’autel d’une austérité inéquitable par des institutions incohérentes qui méprisent leurs réalités.

Aucun programme électoral n’annonçait la suppression de ce droit des enfants à un repas complet journalier. Au contraire, Les Engagés promettaient d’étendre le dispositif que le parlement de la FWB avait d’ailleurs pérennisé dans un décret de 2023, prévoyant sa montée en puissance, à la grande satisfaction des acteurs de l’école et de lutte contre la pauvreté. La confiance des citoyens ne peut qu’en sortir altérée.

Cerise sur le gâteau orwellienne : selon la ministre-présidente, le programme de repas gratuits n’est pas supprimé ; un budget résiduel de… 43 centimes par élève (contre 3,7 euros initialement) laisse aux écoles la possibilité d’organiser, par exemple, la distribution de potage. Débrouillez-vous avec ça ! Le message ressenti est clair: déconnexion et mépris des autorités pour la réalité de terrain, en particulier pour les écoles les plus en difficulté.

Ainsi donc, le gouvernement de la FWB ne multiplie pas les pains mais les coûts futurs, au nom d’une politique qui n’atteint aucun des objectifs annoncés: ni égalité, ni apprentissage, ni santé, ni agriculture durable… et même pas d’économies réelles.

Quel parent imaginerait dénutrir son enfant sans craindre pour sa santé et son avenir? On reporte et on disperse les coûts, dans la plus parfaite incohérence avec les discours politiques, les revendications des acteurs de terrain et les recommandations scientifiques.

Bien plus qu’une mesure d’austérité parmi d’autres, l’abandon de la distribution de repas dans les écoles, c’est la confiance dans la cohérence de l’action politique que l’on affame.

Il y a décidément des économies qui coûtent cher…

Une carte blanche de Patrick Dupriez

Le titre est de la rédaction. Titre original: Des économies, vraiment?

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