Carte blanche

Défense européenne: l’Europe doit s’unir face aux menaces mondiales, sans renoncer à la paix ni à la solidarité

Alors que l’Otan se réunit dans un contexte international sous haute tension, deux anciens ministres belges de la Défense plaident pour une relance lucide de la Défense européenne. Avec pour objectif, au-delà d’une simple logique de réarmement, d’investir dans la paix, la diplomatie et la solidarité.

Le sommet de l’Otan constitue un moment politique important à l’heure où l’ordre mondial est largement chamboulé avec des conflits de haute intensité au Moyen-Orient, en Ukraine, en République démocratique du Congo, au Soudan et dans bien d’autres régions du monde. Nous vivons une époque dangereuse où le multilatéralisme et le droit international sont remis en question par les grandes puissances et de nombreux Etats.

Pendant des années, les Européens n’ont pas su, ou pas voulu, organiser une véritable défense européenne. Ce ne sont pourtant pas les tentatives qui ont manqué.

L’Europe doit prendre d’urgence son destin en main à l’heure où le partenaire américain, sous la présidence de Donald Trump, a largement démontré sa défiance vis-à-vis de notre sécurité mais aussi et surtout des valeurs fondamentales que nous défendons comme le respect du droit international.

Pourtant, nous constatons que face à ce climat, l’Otan reprend de la vigueur, et certains de ses membres poussent à un réarmement précipité. Plusieurs Etats suivent, soit par docilité, soit par intérêt économique, notamment en raison des retombées pour leurs industries de défense. Or, dans de telles circonstances, l’improvisation dictée par la peur est toujours une mauvaise conseillère.

Au contraire, il est temps d’agir ensemble, avec solidarité et responsabilité. L’enjeu n’est pas de toujours dépenser plus au profit de l’économie américaine en achetant plus de F-35. Mais de mieux investir pour notre autonomie: en mutualisant nos efforts, en soutenant nos industries et nos chercheurs, en évitant le gaspillage et en construisant une stratégie européenne de long terme, tournée vers l’anticipation plutôt que la réaction.

«L’enjeu n’est pas de toujours dépenser plus au profit de l’économie américaine en achetant plus de F-35. Mais de mieux investir pour notre autonomie.»

Même dans ces moments où nous devons assurer notre protection, ces décisions relèvent de notre souveraineté. Le gouvernement espagnol, avec le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, a montré que l’on pouvait tracer une autre voie.

Et la Belgique dans tout cela?

La Belgique a toujours été un pays solidaire. Elle a toujours veillé à protéger ses citoyens, à respecter sa souveraineté, ses obligations et le droit international. Aujourd’hui, la Belgique doit se joindre à l’Espagne et montrer que l’on peut investir dans sa défense sans mettre en péril sa capacité de financer la transition énergétique, la protection de son système de santé, le financement des pensions et le renforcement du pouvoir d’achat.

Si, face au contexte géopolitique, une augmentation des moyens en matière de défense afin d’assurer notre sécurité peut se justifier, nous ne pouvons céder à une telle folie. Une hausse de plus de 21 milliards des dépenses de défense ne peut se faire n’importe comment et à n’importe quel prix par exemple en remettant en cause les piliers que constituent la protection sociale et les services publics dans notre pays.

Nos engagements doivent s’appuyer sur un budget soutenable et maîtrisé, avec des conditions strictes pour garantir des retombées concrètes pour notre économie, des investissements utiles dans les secteurs militaire et civil, et une contribution réelle à la défense européenne au sein de l’Otan, notamment sur le plan industriel.

«Nos engagements doivent s’appuyer sur un budget soutenable et maîtrisé, avec des conditions strictes pour garantir des retombées concrètes pour notre économie.»

La recapitalisation de la défense ne se limite pas à une seule augmentation des moyens budgétaires exprimée en pourcentage du PIB mais plutôt à un réinvestissement dans l’humain, dans le soutien des conditions de travail des femmes et des hommes qui la composent et dans les moyens dont ils disposent pour accomplir leurs missions.

Les débats ne peuvent se cantonner à fixer un pourcentage de manière dogmatique mais plutôt définir ce que l’on va faire et comment on le fait.

La recherche de synergies européennes est donc centrale. L’heure est à l’avènement d’un véritable pilier européen au sein de l’Otan et il revient à notre pays de continuer à pleinement jouer son rôle en la matière comme cela a été fait lors de la précédente législature avec le plan STAR. Nous devons pleinement activer les leviers mis en place aujourd’hui par la Commission européenne sans pour autant remettre en cause des politiques de solidarité intra-européenne comme les fonds de cohésion ou procéder à la vente d’actifs stratégiques. D’autres pistes de financement sont possibles comme la saisie des fonds russes gelés.

Enfin, l’ensemble de la stratégie belge et européenne en matière d’autonomie stratégique doit se faire dans le cadre d’une approche globale des conflits en privilégiant toujours la diplomatie et la recherche d’une solution de paix durable.

Priorité à la paix, à la diplomatie et à la solidarité.

Plus que jamais, nous devons agir avec lucidité, dans l’intérêt commun, sans céder à la peur ni aux pressions extérieures.

André Flahaut

Ludivine Dedonder

Anciens ministres belges de la Défense

(Le titre est de la rédaction. Titre original: «Renforçons enfin la Défense Européenne: Priorité à la Paix, la Diplomatie et la Solidarité»)

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