Carte blanche

Comment l’extrême droite infiltre le monde associatif via la «Nuit du Bien Commun»

Ce 4 juin se tiendra à Bruxelles la «Nuit du Bien Commun», un événement organisé par le réseau entrepreneurial de l’investisseur français d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin, et que dénonce un comité de co-signataires et d’associations.

La Nuit du Bien Commun, qui aura lieu ce 4 juin, se donne une image caritative en offrant de financer des associations par le biais d’enchères, mais fait partie intégrante d’une stratégie d’influence politique visant à propager des idées fascistes et à favoriser l’accession au pouvoir de partis d’extrême droite. C’est pourquoi, nous dénonçons la tenue de cet événement et appelons à son annulation immédiate.

Pierre-Edouard Stérin est un milliardaire français, qui commercialise notamment les fameux coffrets cadeaux Bongo. C’est également, et surtout, un ultra-conservateur partageant des idées réactionnaires et mettant à disposition sa fortune pour financer et faire gagner l’extrême droite en France et en Belgique. En juillet 2024, le média d’investigation français L’Humanité révélait l’existence du «projet Périclès» (pour Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes), un document reprenant le programme de Stérin qui affirme que: «Pour servir et sauver la France, nous voulons permettre la victoire idéologique, électorale et politique».

Cette triple victoire, il déclare l’obtenir en poussant de plus en plus la fenêtre d’Overton vers la droite, en présentant et formant des candidats permettant au Rassemblement National de gagner les élections françaises et en constituant un répertoire de personnalités d’extrême droite à placer aux postes-clés de l’Etat. Ce mécène de l’extrême droite prévoit d’injecter pas moins de 150 millions d’euros dans le projet Périclès, contournant les règles françaises de financement des campagnes électorales. Une révélation qui a notamment motivé une Commission d’enquête du Parlement français à réclamer des comptes à Pierre-Édouard Stérin, qui a jusqu’à présent refusé de se présenter.

Dépendant à son lancement du «Fonds du Bien Commun» –organisme cofondé par Stérin et Obole (une autre entreprise gravitant dans l’écosystème du milliardaire d’extrême droite)–, le projet Périclès s’en est ensuite distancié opérationnellement, afin de protéger la réputation du Fonds et de ses «Nuits du Bien Commun», organisées partout en France et à Bruxelles. Cependant, la Nuit du Bien Commun, créée par Stérin lui-même en 2017, consiste en une soirée caritative festive où les (riches) participants enchérissent pour des associations préalablement sélectionnées, dont certaines ont été épinglées pour leurs valeurs ultra-conservatrices et leurs liens avec les milieux d’extrême droite lors des précédentes éditions françaises.

De troublants galas de charité

Ces galas de charité s’inscrivent entièrement dans le projet politique de la sphère Stérin. Ouvertement anti IVG, contre le mariage pour tous et en faveur de la «remigration», il assurait dans un podcast relayé par France Inter en février 2025 que «parmi les sujets sur lesquels on s’est positionné avec le Fonds de dotation du Bien Commun, il y a des sujets qui peuvent faire polémique: la défense de la vie, de sa création, de sa fin naturelle… un amour durable.»

Tentant de s’acheter une respectabilité en revêtant une apparence philanthropique, les Nuits du Bien Commun œuvrent à diffuser un discours intégriste et identitaire dénoncé en France par plusieurs maires dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, le 18 mai 2025: «A travers des campagnes de dons, des financements d’écoles hors contrat, des offensives juridiques ciblées et la formation de futurs candidats, Pierre-Edouard Stérin déploie une stratégie d’entrisme qui tente de s’appuyer sur le champ associatif pour étendre l’influence de ses idées réactionnaires. […] Sous couvert de philanthropie, c’est une vision rétrograde de la société qui s’installe insidieusement dans nos territoires.»

Une soirée à Bruxelles

A Bruxelles, la Nuit du Bien Commun est accueillie par le Théâtre Royal des Galeries qui, ce faisant, cautionne la tenue d’un tel événement de propagande de l’extrême droite française*. Des personnalités tel que l’ex-CEO d’Inclusion, plusieurs administrateurs de Lazare Belgique, ou encore un administrateur du groupe La Libre, composent le comité de soutien de l’évènement, qui est officiellement soutenu par quatre entreprises implantées en Belgique: Degroof Petercam, Viangro, Alco Group et The Fine Art Group.

Etant donné la réputation de Pierre-Edouard Stérin et les récentes enquêtes le visant, il paraît peu probable que ces organisations et personnalités belges n’aient pas entendu parler des ramifications d’extrême droite derrière l’organisation des Nuits du Bien Commun. On peut donc se questionner sur les standards éthiques de ces organisations et les valeurs qu’elles souhaitent porter au sein de notre espace public. La Fondation Roi Baudouin avait par ailleurs retiré son soutien au projet des Nuits du Bien Commun, suite à un article d’investigation paru dans le Vif en août 2024.

Autant nous questionnons sérieusement l’implication de ces entreprises, autant nous ne jetons pas la pierre aux associations belges sélectionnées comme potentielles lauréates des fonds récoltés lors de la soirée. Le contexte politique actuel rendant difficile le financement de leurs activités, il est compréhensible qu’elles entrevoient une réponse à leurs besoins financiers vitaux dans cette levée de fonds aux apparence philanthropiques. Cependant, nous maintenons que les valeurs défendues par le secteur associatif ne se bradent pas au profit de la haine diffusée par les idées d’extrême droite.

«Les valeurs défendues par le secteur associatif ne se bradent pas au profit de la haine diffusée par les idées d’extrême droite.»

C’est une occasion de rappeler ici l’importance d’un refinancement du secteur associatif, et d’appeler à faire front commun face à des politiques qui favorisent l’affaiblissement de nos valeurs éthiques, en asphyxiant les associations au service des citoyens. Dans un contexte de montée des extrêmes droites, aucun pays d’Europe n’est épargné, en témoigne les agressions racistes du 4 mai dernier à Bruxelles. Il s’agit donc d’un devoir citoyen et moral de dénoncer la tenue d’événements encourageant la propagation d’idées délétères menant au rejet des différences et à la haine de l’Autre. C’est pourquoi nous invitons les responsables politiques bruxellois à affermir leurs positions sur le maintien du cordon sanitaire dans notre espace public et à respecter les engagements pris par le Conseil communal en adoptant la motion antifasciste en avril dernier.

Le Comité contre la Nuit du Bien Commun

*La Direction du Théâtre Royal des Galeries a été contactée préalablement à la rédaction de cette carte blanche, sans y donner suite. Néanmoins, suite à une campagne de mass mailing réalisée après la rédaction de cette carte blanche, nous avons appris que le Directeur du Théâtre Royal des Galeries a déclaré qu’il ne réitérerait pas la collaboration avec la Nuit du Bien Commun pour l’année 2026 (mais compte maintenir l’édition de 2025).

Co-signatures :

Groupe 31 mars — Travailleur·euses des arts

Comité des Soulèvements de la Terre Bruxelles

Florence Lepoivre, Secrétaire Générale FGTB Bruxelles

Adélaïde Charlier, militante écologiste

Chloé Mikolajczak, militante écologiste

Laurie Pazienza, militante écologiste

Lucie Morauw, militante écologiste

Louis Droussin, militant écologiste

Le Zet – Théâtre et danse jeunes publics

Marie Blairon, secteur enseignement

Front Antifasciste de Bruxelles

Nina Henkens, Coördinator Kif Kif vzw

Fédération des Services Sociaux

Ariane Frankin, enseignante dans le réseau libre

Victoriæ Pildær (Defraigne), militante transféministe

Ligue des droits humains

Présence et Action Culturelles – Régionale de Bruxelles

Vie Féminine

La Bonne Poire

Front Antifasciste de Liège 2.0

Jeunes FGTB Bruxelles

Najar Lahouari, Président de la Fédération FGTB Métal Bruxelles-Brabant

Fédération des Etudiant·e·s Francophones

Eléonore Merza Bronstein, Secrétaire Fédérale du MOC Bruxelles

Elisabeth Dugas, psychiatre

Ait Ahmed Lahcen, enseignant à l’ESAS

David Grimaldi, médecin

Tatiana de Perlinghi, auteure, réalisatrice

Valentine Bauchau, habitante de Bruxelles

Morgan Verissimo, habitante de Bruxelles

Réseau ADES

Vigilance Cordon Sanitaire

Marina Yerlès, actrice et metteuse en scène de la Réflexive Compagnie

Manon Ducarme, retraitée

Keisha Strano, chargée de projet au RABKO

Mylène Lauzon, secteur culturel

ABDIL – fédération des Auteurices de la Bande dessinée et de l’Illustration

Emmanuelle Nizou, coordinatrice artistique & conseillère dramaturgique

Jenny Moerenhout, secteur des droits humains

Fabien Defendini, coordination Studio Thor

Alexis Krygier, éducateur spécialisé

Gauche anticapitaliste

Nathalie Debusschere, secteur culturel

Assemblée générale Queer Antifa

Coordination antifasciste de Belgique

Formations Léon Lesoil

CCTA, fédération professionnelle de compagnies de théâtre

Benjamin Gijs, habitant de Bruxelles

Cyril Elophe – Auteur de bande dessinée

Mons Antifa

Milady Renoir, poétesse anti-impérialiste

Rencontre des Continents

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