Carte blanche

“Cancer du sein : stop à la triple peine!”

En Belgique, une femme sur neuf sera confrontée au cours de sa vie au cancer du sein. Derrière ces chiffres: des femmes que nous connaissons toutes et tous.

Ma famille n’est pas exempte: ce foutu crabe a frappé ma grand-mère, ma tante, ma mère.

Je vis donc avec cette crainte sourde, qui resurgit à chaque examen médical.

Mais je suis consciente de bénéficier d’un privilège immense : celui d’avoir accès aux dépistages réguliers, et de savoir que — si la maladie venait à me frapper à mon tour — je pourrais en assumer les frais.

Ce privilège, je le mesure douloureusement, parce que je sais qu’en Belgique, se battre contre le cancer du sein, c’est aussi souvent se battre contre la précarité.

Lorsque j’étais députée fédérale, j’ai entendu des dizaines de témoignages bouleversants : “si je me soigne, je ne pourrais plus remplir mon frigo”. “A quoi bon me soigner, si je ne suis plus présentable ?”

Pour trop de femmes, se soigner est synonyme de pauvreté. Solidaris l’a établi de manière très claire: la première année d’un cancer du sein coûte aux patientes entre 2.000 et 7.000 euros.

Ce constat est d’autant plus terrible que la maladie ne dure pas un an, mais parfois des années, voire toute la vie.

À cela s’ajoutent souvent plusieurs mois d’incapacité de travail, compensés par une indemnité qui ne couvre même pas les besoins essentiels.

Et encore, ces chiffres ne parlent que des frais médicaux visibles : consultations, hospitalisations, chimios, mastectomies, hormonothérapies…

Mais il y a aussi tout ce que la société qualifie de « détail », alors que ce sont des éléments centraux de la reconstruction de soi : une perruque, un tatouage pour redessiner une aréole après une ablation, un soin de peau brûlée par la radiothérapie, un vêtement adapté, une crème, un renforcement des ongles, une séance d’endermologie.

Aujourd’hui encore, une femme atteinte d’un cancer du sein subit trois combats simultanés : le combat médical — lourd, long, épuisant, le combat financier — qui appauvrit, parfois durablement, et le combat identitaire: quand on perd ses cheveux, ses cils, ses seins, son énergie, sa mémoire, sa libido… on perd une partie de sa féminité et de sa personnalité.

Les conséquences psychiques et sociales de la maladie sont drastiquement sous-estimées: fatigue extrême, insomnies, dépressions, pertes cognitives…

C’est en dépit de cette terrible réalité – et de cette triple peine – que le gouvernement fédéral MR/Engagés/N-VA entend mener sa chasse aux malades de longue durée, mettant dans le même sac celles et ceux qui bénéficient effectivement de certificats de complaisance… et celles et ceux qui sont terrassés par la maladie et les traitements.

Certes, le gouvernement tend à nous rassurer en « immunisant » les patients en cours de traitement d’un cancer. Très bien. Mais jusqu’à quand ? Qui décidera du moment où l’on est jugée assez « valide » pour retourner travailler ? Faudra-t-il choisir entre sa santé et son revenu ?

De même, le gouvernement Arizona entend réduire la reconnaissance du travail de nuit. Niant ainsi l’impact du travail de nuit sur la santé des femmes.

Se rend-il compte que le travail de nuit accroît le risque de cancer du sein chez les femmes, principalement en raison de la perturbation de l’horloge biologique et du rythme circadien, qui affecte la production de mélatonine?

Certes, là aussi, le Ministre Clarinval tend à nous rassurer en “immunisant” les secteurs hors “e-commerce”. Très bien. Mais que valent donc à ses yeux les travailleuses dans les transports, la logistique, les grands magasins … qui sont bel et bien concernées par cette réforme du travail de nuit?

Les Ministres de l’Emploi et de la Santé ce gouvernement s’échangent-ils des informations aussi capitales avant d’adopter des réformes ou agissent-ils à  l’aveugle ?

Pendant ce temps, les conventions INAMI pour les psychologues, kinésithérapeutes, sexologues… restent si peu attractives que les professionnels désertent le système… laissant les patientes seules face à leur reconstruction mentale et corporelle, et à leurs économies… si elles en ont.

Et que dire du Plan Cancer ? Il date de 2008. Il parle prévention, dépistage, recherche. Mais il oublie le vécu réel des patientes : la santé mentale, la vie intime, la féminité, la précarité.

Ce que demandent les patientes ? Rien d’extraordinaire: être correctement informées de leurs droits, être accompagnées dans leur globalité (le corps, l’esprit, l’identité), ne pas s’appauvrir parce qu’elles sont malades, et enfin voir leur reprise du travail sécurisée, sans culpabilité et sans menace.

En Belgique, nous avons le taux d’incidence du cancer du sein le plus élevé de toute l’Union européenne: 194,0 cas pour 100 000 habitants pour le cancer du sein, contre 142,8 cas de moyenne européenne.

Les femmes qui se cachent derrière ces chiffres – ces travailleuses, ces entrepreneuses, ces mères…-  ne méritent certainement pas cette logique du : « marche ou crève ». 

Elles méritent respect, considération, et soutien.

Sophie ROHONYI, présidente de DéFI.

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