Les gouvernements alimentent volontairement un triangle victime-sauveur-persécuteur. Sur les budgets, sur l’immigration, ou sur les taxes communales, par exemple.
Les amateurs de développement personnel et les professionnels de la psychologie connaissent tous le triangle tragique.
Le triangle tragique, ou dramatique, ou triangle de Karpman, c’est cette configuration de l’analyse transactionnelle qui voit s’affronter trois acteurs sur la scène d’une vie: une victime, un persécuteur et un sauveur. La délimitation de ces rôles est le travail des praticiens. Mais la mise en récit politique du triangle tragique est la tâche politique à laquelle se livre, avec un efficace brio, la droite hégémonique. Elle y parvient remarquablement.
D’ailleurs, voici trois exemples de triangle.
Sur le budget de l’Etat, les victimes seraient les Belges. Leur persécuteur est la gauche qui vide les caisses. Leur sauveur est la droite qui remet de l’ordre dans les comptes et réduit les déficits.
Sur l’immigration, les victimes seraient les natifs. Leur persécuteur est la gauche qui ouvre les frontières. Leur sauveur est la droite qui colmate les appels d’air et réduit l’incidence des migrations sur notre société.
Sur la fiscalité communale, les victimes seraient les Wallons. Leur persécuteur est la gauche qui augmente tous les impôts communaux. Leur sauveur est le gouvernement régional, qui n’augmente aucune taxe tout en remettant de l’ordre dans les comptes et en réduisant les déficits.
Le sauveur se rend solidaire des victimes pour combattre le persécuteur, et c’est pourquoi les victimes votent pour leur sauveur. Mais parfois, le sauveur a commencé par persécuter la victime pour pouvoir lui faire croire qu’il la sauve, et c’est pourquoi le sauveur gagne les élections. Il a produit les conditions politiques de la victimisation et le ressort de son intervention salvatrice contre la persécution.
Sur le budget de l’Etat, la droite, sous le gouvernement Michel, a délibérément définancé la sécurité sociale. Il manque huit milliards d’euros de recettes annuelles à son budget depuis que le tax shift a atteint sa vitesse de croisière. Le sauveur a produit une part importante du déficit contre lequel il dit lutter. Si bien que si les victimes sont bien celles que l’on dit, les persécuteurs ne sont peut‑être pas ceux qu’on croit.
Sur l’immigration, la droite réduit délibérément les capacités d’accueil. En programmant un milliard d’économies grâce à sa politique migratoire durcie, l’Arizona envoie davantage de migrants irréguliers dans les rues, surtout celles des grandes villes, et crée davantage de cette insécurité qu’il dit être plus habilité à combattre. Le sauveur produit ainsi une partie des effets les plus visibles des migrations sur notre société. Si bien que si les victimes sont notamment celles dont on parle, les persécuteurs ne sont sans doute pas ceux qu’on raconte.
Sur la fiscalité communale, le gouvernement wallon oblige explicitement les communes sous plan Oxygène, celles où l’on a moins voté pour lui, à des hausses généralisées. Les taxes, les redevances et les prix des services augmentent dans toutes les plus grandes localités wallonnes. Le sauveur, de tutelle régionale, impose contractuellement cette rage taxatoire municipale. Si bien que si les victimes sont bien celles auxquelles on pense, les persécuteurs ne sont probablement pas ceux qu’on fait croire.