Cette concentration est inédite dans la presse francophone. L’Autorité belge de la Concurrence doit encore être notifiée. En cas de réponse négative, il n’y a pas de plan B.
C’est fait: ce lundi, Rossel et IPM ont annoncé «unir» leurs forces dans une opération de fusion inédite dans la presse francophone, les deux groupes ayant été longtemps concurrents. Sans surprise, le plus gros changement concerne L’Avenir, qui déménage au sein du groupe Sudmedia (anciennement Sudpresse, propriété de Rossel). Plus globalement, moyennant une montée au capital de 10% de la famille Le Hodey (propriétaire d’IPM) au capital de Rossel, ce sont bien les titres d’IPM (La Libre, L’Avenir, la DH, Paris Match, Moustique, etc.) qui passent sous pavillon du groupe jadis concurrent.
Côté politique, la ministre des médias Jacqueline Galant, soucieuse «d’être garante du pluralisme» en Fédération Wallonie-Bruxelles, dit avoir demandé des garanties «précises» pour que «ce projet ne porte atteinte ni à la diversité des titres, ni à la qualité de l’information en Fédération Wallonie-Bruxelles.» Il est par ailleurs attendu que le gouvernement reste «particulièrement vigilant quant aux suites de ce dossier et à ses impacts sur notre paysage médiatique», ajoute encore la ministre par voie de communiqué.
Trois pôles
Concrètement, le projet de structure résultant de cette fusion comprendra trois pôles, l’un regroupant Sudinfo et l’Avenir au sein de Sudmedia (propriété de Rossel), un autre comprenant Le Soir et Le Soir Magazine, et enfin les autres titres d’IPM (La Libre Belgique, La DH-Les Sports, Moustique, Paris Match Belgique, etc.). Ce qui fait d’IPM une filiale de Rossel, qui toutefois ne met pas la main sur les médias audiovisuels (LN24, Fun Radio), reversés dans une autre entité au nom encore indéterminé.
Dans leurs communications au sein de leurs journaux respectifs, les éditeurs d’IPM et Rossel, François le Hodey et Bernard Marchant, assurent que malgré cette fusion, la pluralité des titres dans la presse francophone est assurée. Hormis le cas de L’Avenir, dont la rédaction devrait prochainement déménager rue Coquelet à Namur (où se trouve le groupe Sudmédia), aucun grand rapprochement rédactionnel ne serait prévu ailleurs. «Le message est de dire qu’on ne réunit pas sur un seul et même plateau Le Soir, La Libre, Moustique, Paris Match… ce qu’on aurait pu imaginer», précise François le Hodey, propriétaire d’IPM. Au nom du pluralisme, on tient à ce qu’il y ait des identités différentes. Il n’y a pas de logique à faire travailler Le Soir et La Libre ensemble.»
Assemblée générale chez l’Avenir
Mais, avec 10% du capital de Rossel, quelle sera la portée de la voix du patron d’IPM? «On est un actionnaire à 10%, mais dans IPM il y a un mécanisme de pluralisme qui existe et qui fait que notre famille reste représentée à la présidence. Il y a des décisions qui doivent être prises par consensus sur le maintien des titres, le respect des chartes rédactionnelles, etc. Ou par exemple pour nommer un rédacteur en chef. Ce qui veut dire que Rossel ne décide pas seul», assure François le Hodey. Qui ne nie pas que L’Avenir et Sudinfo devront collaborer très étroitement pour sauver la peau de l’information régionale. «Industriellement, la logique est d’avoir une couverture de l’ensemble de la Wallonie, et il se fait que L’Avenir c’est 80% ruralité, 20% ville, et Sudinfo c’est exactement l’inverse. Il faut arriver à les faire travailler ensemble de la bonne manière», abonde François le Hodey, qui ajoute: «Ces deux-là, il faut les mettre dans une pièce, et maintenir leurs identités respectives. Il faut qu’ils trouvent la bonne manière de coopérer pour devenir le grand média wallon. Tout est une question d’alchimie. Et économiquement, ça peut très bien fonctionner.»
A L’Avenir, où plane déjà un préavis de grève et où une assemblée générale s’est tenue dans le sillage de l’annonce, l’inquiétude est très vive; alors que le grand quotidien wallon a déjà été soumis à un plan d’économie cette année, les syndicats craignent que les synergies à venir avec Sudinfo débouchent sur des pertes d’emplois. Et le discours des éditeurs n’était pas pour rassurer, ce lundi… Au Soir, Marchant comme Le Hodey ont indiqué qu’«il ne peut pas y avoir d’indépendance de l’information sans autonomie financière». Non rentable, L’Avenir paraît clairement dans le viseur des mesures –«ciblées», préviennent les éditeurs.
Pas de plan B
Reste, enfin, un obstacle de taille avant que le mariage ne soit effectif. S’il est vrai que l’environnement économique dans le secteur des médias s’est singulièrement dégradé ces dernières années, c’est bien à l’Autorité belge de la concurrence (ABC) qu’il revient de donner le feu vert à l’opération, pour laquelle elle n’a pas encore été notifiée. Tant du côté de Rossel que d’IPM, où l’on espère un «go» d’ici la fin de l’année, on assure que cela devrait passer, d’autant qu’en cas de refus, il n’y a, pour ainsi dire, pas de plan B. «On ne l’a pas trop réfléchi parce qu’on ne pense pas que ce sera non. Il y aura certainement des demandes de garanties. L’ABC doit prendre en compte les conséquences d’un non. Ce ne serait pas très inspiré», veut croire François le Hodey.