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Bouleversement en vue dans la presse francophone: les manœuvres d’IPM pour s’adosser à Rossel, «L’Avenir» dépose un préavis de grève (info Le Vif)

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Le groupe IPM manœuvre pour s’adosser à son concurrent Rossel. Un rapprochement rédactionnel entre L’Avenir (IPM) et Sudinfo (Rossel) serait sur les rails.

François le Hodey, CEO d’IPM (La Libre Belgique, DH Les Sports+, L’Avenir, LN24…), d’ordinaire rare et discret auprès de ses rédactions, sait se montrer prolixe quand les signaux virent au rouge. Le 6 mai, devant un parterre de journalistes réunis au siège d’IPM à Bruxelles, il n’a pas caché que la situation financière du groupe était précaire, minée par une baisse structurelle de la diffusion payante –valable pour presque toute la presse quotidienne francophone– et, surtout, par la fin de la concession accordée à bpost pour la distribution de journaux d’ici à la fin de l’année et qui se traduira par une explosion des coûts pour les éditeurs. Pour IPM en particulier, déjà en manque de cash pour recapitaliser sa chaîne de télévision (LN24) en perte chaque année. Une situation intenable.

«Au bout de deux heures, on a fini par comprendre qu’il était question de s’adosser à un grand groupe», souffle une journaliste présente ce jour-là, sans détailler ce qui a été précisément dit aux rédactions. Mais plusieurs sources au sein d’IPM le confirment, le «grand groupe» dont il est question serait bien Rossel (Le Soir, Sudinfo, La Voix du Nord en France), principal concurrent d’IPM en Belgique francophone mais paradoxalement futur allié face aux perspectives négatives d’un marché confronté à d’énormes défis. «Cela va se faire», abonde un cadre de l’entreprise, prévenant toutefois que «tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout, il n’y a d’accord sur rien».

Déménagement d’IPM dans les locaux de Rossel?

La rumeur de rachat d’IPM par Rossel court déjà depuis quelques mois, d’autant plus après que les deux groupes ont annoncé mettre des ressources en commun pour assurer la distribution des journaux –une coentreprise, Direct presse, a d’ailleurs été créée à cet effet. Sans parler des rapprochements en matière de publicité et d’infrastructure IT récemment actés, ainsi que l’avait divulgué L’Echo, en février dernier. Autant d’éléments qui s’ajoutent au fait que c’est aussi désormais Rossel qui imprime les journaux d’IPM…

Contacté, Bernard Marchant, patron de Rossel, n’a pas répondu à nos sollicitations. Son homologue chez IPM, François le Hodey, note quant à lui que «beaucoup de rumeurs circulent», tout en commentant: «Le secteur est en pleine réflexion stratégique pour voir comment nous organiser face au choc de la fin de la concession postale. Qu’il faille bouger pour accélérer l’économie numérique est une évidence. C’est un sujet sur la table tout comme celui de coopérations, allant jusqu’à des regroupements comme nous l’avons déjà fait en imprimerie et en distribution. Mais rien n’est fixé à ce stade.»

Rien n’est fixé, peut-être, mais l’un des sujets sur la table ne laisse guère de doutes: le rapprochement physique entre L’Avenir (IPM), premier quotidien wallon en diffusion payante, et son principal concurrent Sudinfo (Rossel), qui devrait accueillir la rédaction de L’Avenir dans ses locaux namurois, rue Coquelet, d’ici à quelques mois. Une épine en moins dans le pied d’IPM, à qui Nethys, ancien propriétaire de L’Avenir, avait jusqu’ici mis gratuitement à disposition des locaux. Or, ce bail avantageux a pris fin, et la facture s’annonce salée (autour de 400.000 euros par an). Chez Sudinfo, ce serait gratuit… ou presque.

30%

La participation que pourrait prendre Rossel dans l’actionnariat d’IPM.

Selon plusieurs sources, l’opération de rapprochement entre les deux principaux titres de la presse quotidienne régionale wallonne pourrait mener à une prise de participation de Rossel dans l’actionnariat d’IPM, de l’ordre de 30%. Un chiffre que ne confirme pas, sans toutefois le démentir, François le Hodey. Auprès de nos confrères de l’Echo, ce mardi, Bernard Marchant, lui conteste ce chiffre, sans écarter un scénario capitalistique pour autant.

Reste qu’à L’Avenir, la perspective d’un atterrissage chez Sudinfo est prise très au sérieux, et ne passe pas très bien: alertés par les plans des deux éditeurs, les syndicats avaient convoqué, fin avril, un conseil d’entreprise extraordinaire pour obtenir des explications. «Ce qui va se passer précisément, on n’en sait rien. Ce qu’on sait, c’est que, logiquement, on déménagera rue Coquelet (NDLR: dans les locaux de Sudinfo). Ils ont de l’espace, ils ont déjà libéré un étage. Ce serait prévu pour la fin de l’année», glisse-t-on du côté de L’Avenir, où on suppute, en outre, un rapprochement rédactionnel. Dans la rédaction, la pilule est difficile à avaler, alors qu’un plan de rationalisation des coûts (sans licenciements prévus pour l’instant) est en cours. «Vraisemblablement, les économies qu’on nous demande ont pour objectif de rendre la mariée plus belle et s’assurer que L’Avenir termine l’année dans le vert. Ce serait une exigence de Rossel», lâche une source. Ce mardi, un préavis de grève a été déposé en front commun (CGLSB-CNE), le tout avec le soutien de la société des rédacteurs (SDR) du journal et l’AJP, l’association des journalistes professionnels. Les exigences: un gel des coupes budgétaires à l’oeuvre actuellement, un minimum de concertation, ainsi que des éclaircissements sur la stratégie…

Concentration

Du côté du gouvernement wallon, où la perspective d’un tel rapprochement ne manquerait pas de poser des questions sur la concentration des médias, on explique que la ministre en charge, Jacqueline Galant (MR), ne souhaite «pas commenter les rumeurs» et qu’elle n’a eu «aucun contact avec l’une ou l’autre partie au sujet de potentielles prises de participation».

Pourtant, selon nos informations, Jacqueline Galant aurait bien reçu fin mars les éditeurs d’IPM et de Rossel, François le Hodey et Bernard Marchant. Rien de concret n’aurait toutefois été mis sur la table, dixit un porte-parole. «De par ses fonctions, la ministre est en contact fréquent avec différents médias. Ces derniers mois, elle les a associés à sa réforme des médias de proximité (NDLR: qui concerne surtout, à ce stade, les télévisions locales). Le 28 mars, Jacqueline Galant a rencontré à son cabinet «l’ensemble du secteur de la presse écrite pour échanger sur le nécessaire tournant vers le numérique», concède son cabinet, mais insistant sur le fait qu’aucune «prise de participation» n’a été évoquée par les éditeurs.

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