Les détectoristes, toujours plus nombreux, font des dizaines de milliers de découvertes chaque année. © GETTY

Parfois considérés comme des pilleurs, les détectoristes sont toujours plus nombreux: «On ne cherche pas à s’enrichir, mais à comprendre et à dépolluer»

Michel Verlinden Journaliste

Ils passent leurs dimanches les pieds dans la glaise. Pilleurs pour les uns, amateurs éclairés pour les autres, les détectoristes, toujours plus nombreux, s’organisent en communautés revendiquant un accès direct au passé. Après une longue période de prohibition, la Wallonie lâche du lest: une législation mixte tente désormais de concilier passion individuelle et intérêt collectif. Un pari difficile.

Sur ce champ wallon aussi morne que détrempé, la silhouette légèrement voûtée apparaît minuscule et pitoyable. A force d’allers et venues, sa trajectoire méthodique a fini par lasser les corneilles qui, à quelques mètres seulement, poursuivent du bec des investigations tournées vers la subsistance. Bottes crottées, pantalon de camouflage, casquette vissée sur la tête, l’homme avance au ralenti, balançant son détecteur au ras du sol. A chaque mètre, le disque décrit le même arc régulier, comme un métronome. La scène, ennuyeuse à périr, se déroule sur fond de pluie butée et d’odeur de terre fraîchement retournée.

Le chasseur de trésor a obtenu l’autorisation du propriétaire, un agriculteur croisé quelques semaines plus tôt sur son tracteur. Depuis, il revient régulièrement hanter ces lopins, seul ou parfois accompagné d’un compagnon d’infortune rencontré sur un forum –à deux, la fatigue et les doutes s’oublient plus facilement. Car telle est la loi immuable de ces glaneurs: creuser souvent, longtemps. Comme tant d’autres avant lui, l’infatigable arpenteur guette néanmoins le signal qui pourrait tout changer, la trouvaille majeure, le trésor oublié. Des précédents existent, racontés avec ferveur sur les réseaux mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Le plus souvent, la journée s’achève avec quelques rebuts dans la poche et la conviction de faire mieux la prochaine fois.

Creuser et déchanter

Telle est la trame habituelle d’une journée de détection. Ni aventure exaltante ni ruée vers l’or mais va-et-vient pénible et répétitif. Dans un sac à dos XP Backpack 280 s’entassent casse-croûte, trousse de secours et petits outils d’appoint. Une main enserre une pelle en inox, l’autre agrippe un détecteur –ainsi du très répandu Minelab Vanquish 340, modèle multifréquence d’entrée de gamme, fiable mais limité. Les appareils les plus sophistiqués, qui frisent les 2.000 euros, laissent entrevoir jusqu’à la forme de l’objet enfoui.

Tel un perroquet strident, le Vanquish en question pérore à tout va: une gamme de sons, précisée par des chiffres relayés sur un écran, aussitôt transmise dans le casque. L’ensemble forme une vraie partition, chaque métal possédant sa signature auditive. Grave: bas conducteur, souvent un petit ferreux «sans intérêt». Médium: alu, résidu de cartouche, sans doute un «cul de douille», ou une canette. Le haut conducteur, lui, fait monter les pulsations cardiaques, souvent une monnaie, associé qu’il est aux signaux aigus.

«Je suis sur un 37-38 assez stable» ou encore «un bon 58, net, qui tape bien». Autant de phrases cryptiques entendues sur site. Rien d’inutile là-dedans: interpréter juste est crucial, celui qui creuse au moindre pépiement est certain de s’épuiser rapidement. L’oreille guette le son stable, signe que la fréquence –mesurée en kilohertz, a trouvé un métal cohérent, sans parasite. En réalité, l’appareil ne fait rien d’autre qu’émettre un champ électromagnétique et mesurer en retour les perturbations provoquées par les objets enfouis. Un principe de physique simple, mais qui exige, pour être utile, une écoute exercée.

Quand le détecteur s’est tu, un autre prend le relais: le pin pointer, petit cylindre orange glissé dans la poche du pantalon. Il affine la recherche et vibre dès que l’on s’approche de la cible. Souvent, un éclat terne apparaît: une languette d’aluminium. Direction la poche à «merdouille», selon le terme consacré. Nonante-cinq pour cent du temps, c’est cela, la détection: creuser, espérer et… déchanter.

Mais les 5% restants suffisent à faire oublier les incessantes génuflexions et retrouver la foi. Balle de mousquet, bouton de tunique, boucle, bille de shrapnel, médaille, pièce, pendentif… autant d’éclats de passé qui suffisent à redonner le sourire. Parfois, la chance s’en mêle, tel ce Napoléon d’or; 5,805 grammes de métal pur, luisant dans la paume comme un soleil minuscule. A lui seul, un «napo» peut faire courir la rumeur d’un spot miraculeux et relancer pour des semaines l’ardeur de la communauté. «Des trouvailles qui alimentent les conversations plus que les vitrines», plaisante un détectoriste qui en a vu d’autres. Peu importe. Pour nombre de ces glaneurs invétérés, le vrai plaisir réside dans l’expertise: avoir su interpréter le son, deviner la matière à sa teinte -vert pour le cuivre, rouge pour le fer, gris pour le zinc ou l’aluminium, plus lourd et mat pour le plomb. Et tout en haut de l’échelle, le métal sans corrosion: l’or pur.

On imagine d’ici la question, posée avec le sourcil en accent circonflexe: quelle vie faut-il avoir pour consacrer son dimanche à remuer la boue? Pour comprendre, il suffit pourtant d’écouter ceux que l’on a croisés lors de ce reportage: les solitaires, les pères de famille, les idéalistes, les collectionneurs obstinés. Et, parmi eux, les fanas de militaria, ces férus de vestiges de guerre qui traquent douilles, insignes ou éclats d’obus comme d’autres les fossiles. Leurs motivations diffèrent en surface mais un fil rouge se dessine: le besoin d’appartenir encore à quelque chose –à un passé commun, à un territoire– et, peut-être, celui de croire qu’il subsiste toujours, dans ce monde, la possibilité d’un émerveillement.

© REUTERS

Les détectoristes, une communauté masculine

Au-delà des rencontres singulières et du cliché du retraité arpentant les plages pour arrondir ses fins de mois, un nouveau cadre légal permet d’y voir plus clair, du moins dans le sud du pays. Depuis l’entrée en vigueur du décret de décembre 2018 (effectif depuis 2019), qui encadre une pratique jusque-là interdite, entre 227 et 243 demandes d’autorisation sont introduites chaque année, un chiffre stable selon une étude récente de l’Awap, l’Agence wallonne du patrimoine. Chaque utilisateur doit désormais solliciter un permis, assister à une séance d’information, s’acquitter de 40 euros de frais de dossier, localiser ses trouvailles et remettre un rapport d’activité, tout en s’engageant à ne pas intervenir sur des lieux mentionnés à l’inventaire de sites archéologiques.

L’idée? «Canaliser plutôt que d’interdire, afin de distinguer l’amateur responsable du pilleur et aussi sortir des effets contre-productifs d’une prohibition formelle qui s’est avérée inopérante», commente Dominique Bosquet, archéologue à la direction de la Coordination opérationnelle de l’Awap. Le profil type qui se dégage d’un panel de 1.025 personnes est celui d’un homme de 40 à 60 ans, actif, souvent employé aux revenus modestes, animé par la passion de l’histoire, du plein air ou de la collection. Les femmes, elles, ne représentent que 5% des pratiquants. Pour la première fois, entre 2019 et 2023, ce portrait chiffré rend visible cette communauté méconnue.

Avant la modification du Code du patrimoine (Copat), il fallait aller en ligne pour en apprendre davantage. Sur les forums, les groupes Facebook privés ou les chaînes YouTube, la mouvance se raconte, échangeant conseils et photos de trouvailles. Son fonctionnement évoque celui d’autres microcommunautés masculines –incels, survivalistes ou masculinistes– marquées par l’isolement et le besoin de recréer du lien à travers la pratique et l’entre-soi. Chez les détectoristes, pas de revanche sociale explicite, mais parfois le sentiment d’être dépossédés de l’histoire par les archéologues «en blouse blanche», accusés de pratiquer une archéologie de bureau quand eux, sur le terrain, s’esquintent. Et il est vrai que la pratique n’est pas sans risques: tétanos causé par un clou rouillé, munitions non explosées, tranchées instables, tiques, chutes, voire altercations avec des riverains. Rien, en somme, d’une promenade de santé.

Sous couvert d’anonymat, un archéologue livre des détectoristes une lecture plus psychologique: «Le trait principal, c’est celui de tous les amateurs. Ce sont des gens habités par leur sujet, qui veulent être utiles et reconnus. Il existe chez les détectoristes un certain complexe d’infériorité, et chez les universitaires, la conviction d’avoir affaire à des ignorants. C’est pourtant faux: sur certains thèmes précis, les amateurs sont redoutables. Ils ignorent souvent les méthodes de l’archéologie mais leur savoir et leur bonne volonté méritent d’être pris au sérieux.»

«Derrière l’image sympathique du passionné d’histoire, il y a des intérêts économiques considérables.»

Voie médiane

D’autant que la perception du détectoriste varie selon le pays. Au Royaume-Uni, la pratique relève d’un modèle à la fois libéralisé et institutionnalisé. Née dans les années 1970 avec la mise sur le marché des premiers détecteurs dérivés de technologies militaires, elle s’est structurée autour d’une communauté de passionnés bien avant d’être encadrée. Mis en place à la fin des années 1990, le Portable Antiquities Scheme (PAS) a permis d’enregistrer plus de 1,5 million d’objets trouvés par des amateurs, soit plusieurs dizaines de milliers de découvertes recensées chaque année. Un rendez-vous comme Detectival rassemble ainsi des milliers de participants venus de toute l’Europe. Loin d’être stigmatisé, le détectoriste britannique est reconnu comme un acteur légitime du patrimoine, ses trouvailles alimentant directement les bases de données nationales. Cette reconnaissance s’inscrit dans une véritable culture populaire de l’archéologie, entretenue notamment par la BBC et sa série documentaire Digging for Britain, qui met en valeur aussi bien les fouilles officielles que les découvertes amateures.

A l’autre extrémité, la France. L’usage d’un détecteur sans autorisation du ministère de la Culture expose à la confiscation du matériel et des objets, à des amendes pouvant atteindre 7.500 euros, voire à des poursuites pénales en cas de récidive. Destinées à prévenir les pillages, ces sanctions incitent certains amateurs à franchir discrètement la frontière vers la Belgique, où la législation est plus souple. La différence tient à la philosophie du patrimoine: en France, tout objet archéologique appartient à l’Etat, qu’il soit découvert fortuitement ou lors d’une fouille autorisée. «En Belgique, c’est un peu différent, pointe Dominique Goblet. Les biens immobiliers, comme un site archéologique ou une villa romaine, appartiennent au propriétaire du terrain. Si vous en avez une sous votre jardin, elle est à vous. En revanche, vous ne pouvez pas la fouiller sans autorisation. Quant aux objets isolés découverts, ils peuvent rester la propriété de celui qui les trouve.»

Cette distinction importe dans un pays qui s’impose comme un véritable eldorado de la détection. Sous la surface, un patrimoine d’une densité exceptionnelle: «Des objets archéologiques sont présents partout en Wallonie comme ailleurs. Les résultats obtenus sur les grands tracés linéaires permettent d’estimer le nombre de sites inconnus à cinq fois le nombre de sites déjà répertoriés, soit environ 125.000, ce qui revient à huit sites non répertoriés par kilomètre carré», peut-on lire dans un rapport récent (1).

Face à cette abondance, la Région a choisi une voie médiane entre interdiction et libéralisme. Le pari semble payant: le taux de déclaration avoisine les 50%, signe d’un dialogue en construction entre détectoristes et archéologues. Sans verser dans la permissivité britannique ni la répression française, la Wallonie trace une ligne propre, faite de collaboration et de confiance encadrée. La Flandre, elle, a choisi un autre modèle: une autorisation unique, valable à vie, sans suivi. Résultat: à peine 4% des trouvailles y sont déclarées, un manque de retour d’information que déplorent les archéologues du nord du pays.

Il y a de bons élèves chez les détectoristes

Symbole de ce modèle participatif, Laurent Poncelet (48 ans), fonctionnaire de l’Etat, incarne la réussite du dispositif mis en place en Wallonie. C’est dans ce cadre qu’il a pu s’épanouir et accéder à une forme de reconnaissance longtemps inimaginable pour les amateurs. Originaire de Dinant, il sillonne depuis plus de quinze ans les plateaux d’Herbuchenne, dominant la Meuse, où il pratique la détection avec une probité jugée exemplaire. Ce qui l’a conduit vers la détection? «L’histoire, tout simplement», répond-il sans hésiter. Passionné par l’Antiquité et par les traces du passé dans sa région, il s’équipe d’un premier détecteur en 2008, «pour voir ce qu’il restait dans nos campagnes». Très vite, il y trouve autre chose qu’un loisir: une façon de contribuer, à sa mesure, à la connaissance du territoire. «Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la valeur de l’objet, mais ce qu’il raconte.»

Un matin de septembre 2020, son détecteur émet un son stable et cristallin. Laurent creuse, délicatement. Entre deux mottes humides, un éclat de bronze affleure: une petite tête de statue, haute de deux centimètres à peine, représentant deux visages de Jupiter Ammon adossés l’un à l’autre. Le dieu romain y mêle ses traits à ceux du dieu égyptien à cornes de bélier. «J’ai compris tout de suite que ce n’était pas un objet ordinaire», se souvient-il. L’analyse confirmera une datation comprise entre le Ier et le IVe siècle. Moins d’un an plus tard, la pièce est publiée dans la revue Vie archéologique, contresignée par les archéologues Cécile Ansieau et Olivier Vrielynck, une reconnaissance rare pour un détectoriste. Aujourd’hui, cette protomé trône dans les vitrines du musée de la Haute-Meuse, à Godinne, sous le numéro d’inventaire Awap ID658.

«Voir ma trouvaille exposée, c’était émouvant, confie-t-il. Une petite chose, mais qui relie notre terre à l’histoire, avec un grand H.» Le respect dont le passionné fait preuve ne s’arrête pas là. Il collabore aussi avec les agriculteurs. «Sans eux, on ne fait rien», glisse-t-il pour évoquer la difficulté de dénicher des spots. En retour, l’intéressé débarrasse les parcelles des débris métalliques qui jonchent la terre: éclats de canettes, ferrailles, douilles rouillées. «Une canette broyée, avalée par une vache, c’est un drame», résume-t-il. Ce travail discret a un effet bénéfique inattendu: il nettoie les sols, protège le bétail et rend la terre plus sûre.

En contrepoint à la figure solitaire de Laurent Poncelet, l’Awad (Association wallonne des amateurs de détection), fondée en 2021 par Geoffrey Bontemps (47 ans) incarne la dimension collective du détectorisme encadré. L’asbl rassemble une soixantaine de membres bénévoles répartis sur tout le territoire wallon, animés par la même idée: faire de la détection un outil au service de la société. «On ne cherche pas à s’enrichir, mais à comprendre et à dépolluer», résume son fondateur.

L’association collabore régulièrement avec l’Agence wallonne du patrimoine sur des chantiers archéologiques préventifs, notamment dans le cadre d’un parc d’activité à Ciney (51 hectares), où ses membres sont intervenus avant les travaux. Leur rôle: explorer le terrain avant les pelleteuses, signaler les zones à potentiel et retirer les déchets métalliques. Cette expertise intéresse aussi certains promoteurs immobiliers, soucieux de vérifier qu’aucun vestige ne subsiste sur leurs parcelles. Là encore, l’Awad agit en amont, en partenariat avec les archéologues, pour éviter les blocages de chantier et garantir le respect du patrimoine enfoui. Car la quasi-totalité de ce que ses membres extraient, rappelle Geoffrey Bontemps, «c’est du déchet». Clous, fils de fer, éclats d’aluminium: autant de dangers pour le bétail et les machines. En nettoyant les sols, ils rendent un service concret, agricole, patrimonial et environnemental.

Des frises du Parthénon arrachées au XIXᵉ siècle aux récentes mises en cause du marché de l’art, à qui appartient le passé?

Pro et contra

Pour Dominique Bosquet, les collaborations produisent des résultats tangibles, loin de l’anecdote. Certaines découvertes majeures sont directement issues de signalements d’amateurs. «Un détectoriste nous a récemment remis un vrai trésor», confie-t-il. Il se garde d’en dire davantage: ni la localisation précise ni la nature exacte ne sont rendues publiques, par souci de protection du site. On sait seulement que la découverte a eu lieu dans la province de Luxembourg, où l’homme a patiemment rassemblé près de 200 objets –monnaies, fibules, fragments d’outils– provenant d’un même périmètre. Sa démarche a permis d’identifier un site archéologique inédit, désormais intégré à la carte archéologique de Wallonie. «Ça va vraiment changer la carte que nous possédons», souligne Dominique Bosquet, qui voit dans cette contribution citoyenne la preuve la plus éclatante du succès du modèle wallon.

L’ambition ultime du dispositif est là: faire progresser les «zones bleues», ces secteurs officiellement reconnus comme archéologiques et intégrés au système de protection régional. Chaque signalement pertinent enrichit cette cartographie vivante du sous-sol, reconstituant, fragment après fragment, la mémoire enfouie du territoire.

Mais l’adhésion n’est pas générale. Certains archéologues voient dans cette ouverture une pente dangereuse. L’un d’eux, mis au courant de notre enquête, nous appelle en refusant de donner son nom. Ses propos, tranchants, traduisent la colère d’un milieu qui redoute un glissement irréversible. Pour lui, le détectorisme n’a rien d’un loisir anodin. Il y voit la main d’un lobby structuré –fabricants d’appareils, revendeurs, magazines spécialisés –qui pousse à la banalisation d’une pratique à hauts risques. «Derrière l’image sympathique du passionné d’histoire, il y a des intérêts économiques considérables», estime-t-il. Son inquiétude se nourrit d’exemples récents. Au Bois du Grand Bon Dieu, à Thuin, des fouilles sauvages ont partiellement détruit un site archéologique majeur avant l’intervention des autorités. La tentation du pillage demeure bien réelle. Pire encore, selon le scientifique, ces pratiques alimenteraient parfois un marché parallèle de l’antiquité, dont la Belgique ne serait pas exempte. «Les objets arrachés au sol circulent, passent par les mêmes circuits que ceux issus des zones de guerre –Syrie, Liban, Irak–, avant de réapparaître dans des galeries de Paris, Bruxelles ou Lausanne.»

A ses yeux, la confiance sur laquelle repose le système wallon masque une forme de naïveté administrative. «On autorise sur la base de la bonne foi, sans contrôle réel. Certains continuent à aller sur des sites protégés, même classés.» Sa conclusion est sèche, sans appel: «A force de vouloir séduire les amateurs, on risque de perdre la trace des vrais sites.» Un avertissement qui cristallise la fracture entre deux visions: celle d’une archéologie ouverte et participative, et celle d’un monde savant encore hanté par la peur du pillage et du commerce occulte des vestiges.

Face aux critiques, les détectoristes se défendent. Dans les vidéos très suivies de la communauté, comme celles du Youtubeur belge Chris Détection (plus de 22.000 followers), la ligne est claire: le problème, ce n’est pas la détection, c’est le pillage. Et celui-ci ne se limite pas aux amateurs. «Il y a des pilleurs avec matériel de détection mais aussi des pilleurs en blouse blanche», affirme-t-il face caméra, renvoyant dos à dos les fraudeurs de tous bords. Pour appuyer sa démonstration, il convoque en vrac plusieurs affaires qui rappellent que le pillage n’a pas de camp. Des frises du Parthénon arrachées par Lord Elgin au XIXᵉ siècle aux récentes mises en cause du marché de l’art, la même question se pose: à qui appartient le passé? Plus près de nous, les soupçons de trafic d’antiquités ayant éclaboussé certaines galeries présentes à la Brafa rappellent combien la frontière reste poreuse entre collection et recel.

Prometteur, le pari wallon reste fragile. En confiant une part du passé aux mains des amateurs, l’Awap tente d’en raviver la dimension collective –un bien commun appartenant à tous, donc à personne. Cette ambition risque toutefois de se heurter, à terme, au mur de l’individualisme, à une époque où chacun creuse d’abord pour soi.

(1) Bosquet D., Delaunois E., Draily C., Moulaert V. & Vrielynck O., (à paraître), «La légalisation du détectorisme en Wallonie: bilan 2019-2023», dans: Vigne J.-D., Girard J.-P. & Villarroel-Parada A. (dir.), «Démarches participatives pour la recherche et la valorisation du patrimoine archéologique» (Actes de la séance de la Société préhistorique française de Paris, 14-15 mars 2024), Paris, Société préhistorique française (séances de la Société préhistorique française, 22), p. 161-176.

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