L’Autorité belge de la concurrence (ABC) a entamé les auditions en vue de valider (ou non), la fusion des groupes de presse IPM et Rossel. Une récente décision sur une concentration médiatique semblable, aux Pays-Bas, pourrait singulièrement influencer les conditions de la fusion. Et celles-ci sont drastiques.
La volonté d’absorption du groupe IPM (La Libre, la DH, l’Avenir, Paris Match…) par son concurrent Rossel (Le Soir, Sudinfo…), jusqu’ici cantonnée aux révélations et déclarations dans la presse, entre ces jours-ci dans une nouvelle étape, et non des moindres. C’est désormais à l’Autorité belge de la concurrence (ABC), de se prononcer sur cette fusion qui créerait un monopole de fait au sein de la presse quotidienne francophone –un point de vue contesté tant par le patron d’IPM, François le Hodey, que par Bernard Marchant, chez Rossel.
Leur argument principal: la compétition pour les parts du gâteau publicitaire est désormais largement étendue aux géants du numérique (Gafam), du moins en ce qui concerne l’information online, à quoi s’ajoute la compétition avec les contenus «gratuits» de la RTBF. En bref, le marché a changé, et l’ABC doit en tenir compte, veulent croire les deux éditeurs, lesquels se déclarent soucieux du maintien de l’identité des différents titres ainsi regroupés sous la bannière de Rossel. Reste que l’ABC — qui étudie aussi les évolutions du marché précité avant de se prononcer — juge évidemment au-delà du déclaratif. Et tout indique qu’en cas de feu vert, la route de l’absorption risque bien de se voir balisée de sérieux garde-fous.
Auditions en série
Auditionné pendant trois heures par l’Autorité, Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes (EFJ), estime que «la création du premier monopole belge d’édition de quotidiens risque d’être très, très sérieusement conditionnée à de solides dispositifs de protection de l’indépendance éditoriale de chacune des rédactions concernées», ainsi qu’il l’a déclaré dans un post Facebook. Une remarque loin d’être lâchée en méconnaissance de cause…
«La création du premier monopole belge d’édition de quotidiens risque d’être très très sérieusement conditionnée à de solides dispositifs de protection de l’indépendance éditoriale de chacune des rédactions concernées.»
C’est que l’heure est clairement à la concentration des médias, y compris ailleurs en Europe. Et qu’en conséquence, des analyses d’autres autorités de la concurrence sont déjà tombées, traçant sans doute les limites d’une telle fusion en Belgique francophone. Ainsi d’une décision rendue fin juin par l’ACM, le pendant néerlandais de l’ABC, à propos de l’acquisition, par DPG Media, de RTL Nederland, un cas susceptible d’ «entraîner une réduction du pluralisme médiatique», selon l’ACM. Or «les consommateurs d’informations doivent continuer à pouvoir choisir parmi différentes sources d’information indépendantes», estime l’autorité néerlandaise, qui a imposé aux deux acteurs jadis concurrents sur le marché de l’information de sérieuses conditions pour formaliser leur fusion.
Fondations indépendantes
Vouées à rester en vigueur «indéfiniment», même en cas d’acquisition par un autre concurrent, deux fondations distinctes financées par DPG auront «un droit de veto sur l’embauche et licenciement du rédacteur en chef» ou «la mise en œuvre des changements de mission et d’identité.»
DPG devra également «renforcer les statuts éditoriaux de toutes ses marques d’information afin de renforcer l’indépendance éditoriale» et élaborer une charte éditoriale «par laquelle tous les administrateurs, superviseurs et actionnaires actuels et futurs, directs et indirects, du groupe DPG s’engagent à respecter d’importants principes journalistiques. Cette charte a pour objectif d’obliger les actionnaires actuels et futurs (y compris les actionnaires étrangers) de DPG à respecter en toutes circonstances la structure de gouvernance et, plus particulièrement, l’indépendance éditoriale, et à préserver un paysage médiatique pluriforme et diversifié. Elle ne peut être modifiée sans l’approbation des fondations du groupe DPG» ajoute encore l’ACM.
Autre condition contraignante pour DPG, le fait que dans les différentes entités, «les statuts éditoriaux stipuleront que la rédaction (ou le comité de rédaction) décide en toute indépendance du contenu publié, de sa composition, des collaborations journalistiques et du degré de personnalisation du contenu des actualités sur le site web ou l’application. Dans ce contexte, les rédactions n’échangent aucune donnée.»
L’inconnue de l’emploi
Quid du maintien de l’emploi? Les conditions posées dans le cadre de la fusion entre DPG et RTL Nederland n’abordent pas cet aspect de front, l’ACM ne «s’attendant pas à des effets négatifs sur les positions de négociation des journalistes salariés et des journalistes indépendants, par rapport à la situation actuelle», arguant que «les journalistes continueront de disposer de multiples alternatives à DPG et RTL.» Ce qui n’est, à première vue, pas du tout le cas en ce qui concerne IPM et Rossel, et singulièrement en ce qui concerne le rapprochement annoncé entre les deux poids lourds de l’info locale que sont l’Avenir et Sudinfo, amenés à cohabiter étroitement. Et en effet, qui peut imaginer qu’un journaliste congédié par souci d’économie puisse trouver porte ouverte… au même endroit ?