Après le succès des rétrospectives dédiées au Caravage et à El Greco, le Kunstpalast de Düsseldorf réserve ses cimaises hivernales au peintre espagnol Francisco de Zurbarán. Un » blockbuster » offrant un nouvel éclairage du maître des clairs-obscurs.
Il y a 400 ans débutait l’admiration pour l’art de Zurbarán (Fuente de Cantos, 1598 – Madrid, 1664). Depuis le XVIIe siècle – âge d’or de la peinture espagnole – l’intérêt n’a jamais cessé. Et pour cause : il incarne une référence, aux yeux du grand public mais aussi, et surtout, pour des générations de peintres qui ont observé son oeuvre avec le plus grand respect.
Peintre du roi et roi des peintres
L’exposition qui lui est consacrée, pensée en étroite collaboration avec le musée Thyssen-Bornemizsa (Madrid), réunit 71 oeuvres provenant des plus grands musées internationaux. Des pièces incontournables conservées au Met Museum (New York), au Prado (Madrid), à la National Gallery (Londres), à la Alte Pinakothek (Munich)… D’autres pièces ont temporairement quitté leurs monastères et églises espagnoles. Le tout compose un vaste panorama balayant une bonne partie de sa carrière : de ses expériences de jeunesse à ses chefs-d’oeuvre tardifs.
Francisco de Zurbarán a passé la majeure partie de sa vie à Séville, à l’époque foyer économique, culturel et spirituel. Alors apprenti, il se lie d’amitié avec Vélasquez. Une relation qui s’avèrera précieuse : c’est très certainement grâce à lui que Zurbarán est invité, en 1634, à la Cour pour participer à la décoration du palais du Buen Retiro, à Madrid. Il faut reconnaître que l’artiste présentait d’indéniables prédispositions : reconnu » maître » à l’âge de 20 ans, il se distingue très tôt comme un artiste exceptionnel.
Dès le début de sa carrière, il crée un grand nombre d’oeuvres religieuses pour des commandes privées mais aussi des travaux plus importants pour les nombreuses communautés monastiques que comptait la très active Séville. Il devient rapidement le principal fournisseur de thèmes religieux dont il fait – rentabilité oblige – sa spécialité. Dans ce registre, il s’avère particulièrement doué. Il produit quantité de figures de moines, dominicains, franciscains et capucins, à la rigueur ascétique : autant de représentations de la vie monacale et conventuelle mettant en scène des figures sculpturales se détachant sur des fonds obscurs, dans des espaces qui n’ont ni volume ni caractère défini.
Chef-d’oeuvre baroque, le Saint François en méditation, appartenant au Kunstpalast, est l’une des cinq oeuvres authentiques de Zurbarán conservées dans les collections publiques en Allemagne. Sa présentation a aujourd’hui une saveur toute particulière : l’opus a récemment profité d’une campagne de restauration (soutenue par le Fonds de restauration » musée » de la Tefaf) qui lui a offert un nouvel éclairage. Au sens propre comme figuré. Représentative de sa production, cette peinture rappelle directement, par le traitement des clairs-obscurs, le savoir-faire du Caravage. Une constante. Zurbarán construit, sculpte ses personnages de manière saisissante en usant de l’ombre et de la lumière. Des effets qui rendent les individus encore plus austères.
Pièce phare du parcours, Le Christ en croix contemplé par un peintre. Avec une certaine liberté, l’artiste a substitué la figure du commanditaire, qui aurait dû, selon l’usage, apparaître aux pieds du Christ, par une autre qui pourrait être un autoportrait. Une interprétation traditionnelle reconnaîtrait tout simplement l’évangéliste Luc, patron des peintres.
Rendus tactiles
On trouve également de très beaux portraits de saintes aux robes extrêmement sophistiquées, regards énigmatiques et charme andalou. La Santa Casilda en est la parfaite illustration. Solidement campée, sainte Casilde se tient debout, éclairée par une lumière intense régulièrement répartie. Le personnage se détache sur un fond sombre, l’auréole à peine perceptible. Comme nul autre, Zurbarán parvient à restituer d’une manière absolument convaincante le rendu des étoffes de soie ou du brocart et représente admirablement les plis des vêtements… Une maestria qui ne cesse d’impressionner.
Autre exercice de virtuosité, l’Agnus Dei. Zurbarán a figuré, en différentes occasions, l’agneau comme une victime du sacrifice et par là, symbole du Christ dont la mort sauverait l’humanité du péché. Le petit animal apparaît les pattes attachées avec une expression de douceur et d’abandon. Le peintre utilise une gamme de couleurs réduite : la masse claire se détache du fond densément sombre. Mais cette oeuvre est aussi un moyen d’exprimer, une fois de plus, sa capacité technique à rendre les matières, même si l’exemplaire ici présenté n’est pas le mieux achevé.
Tombé dans l’oubli, l’artiste mourut à Madrid dans la plus grande pauvreté. Tardivement, il a même tenté d’adoucir son style en adoptant la manière plus gracieuse de son rival, Bartolomé Esteban Murillo. Avec le recul historique, Francisco de Zurbarán a retrouvé la place qui lui était destinée : celle d’un très grand artiste qui apparaît aujourd’hui plus moderne que jamais. Un symbole immortel du génie espagnol.
Zurbarán. Meister der Details, au Museum Kunstpalast, à Düsseldorf. Jusqu’au 31 janvier 2016. www.smkp.de
Par Gwennaëlle Gribaumont