Dessinateur suisse et souriant, le père de Titeuf sort un quatorzième album des aventures de son héros à mèche blonde… qui est devenu ado.
Il ne porte pas de chaussettes et n’aime pas être en retard. Les faits sont donc là, qui dessinent un homme heureux, semble-t-il, de s’accomplir dans la propreté et la rigueur. Philippe Chappuis, 47 ans, est grand, souriant, manie la parole avec gentillesse et s’affiche auteur de bandes dessinées. Mais il se fait aussi appeler Zep, en hommage à Led Zeppelin, groupe de rock plein de bruit et de sueur qu’il est difficile d’imaginer se plier à l’orthodoxie helvète. Philippe a 12 ans lorsqu’il signe ses premières planches de son pseudo. A l’époque, il manie le crayon et la guitare avec la même passion. Pour ce fils de policier et de couturière, la singularité passe par là. La rébellion serait un trop grand mot. » Je suis d’un tempérament heureux et dépressif « , dit-il aujourd’hui. La faute au succès de son héros, Titeuf, qui lui permet de très bien vivre de son dessin mais le pousse à ne jamais se satisfaire du résultat. Dans Bienvenue en adolescence !, son nouvel opus, le gamin à la mèche blonde, abonné aux joies de l’enfance depuis 1992 (!), a le poil émergent, la voix fluctuante et se demande s’il ne peut pas organiser ses amours en deux mi-temps, l’un avec Nadia, l’autre avec Ramatou.
Zep aligne 30 ans de carrière – débuts chez Spirou en 1985 – , 13 albums avec Titeuf, traduits en 25 langues, vendus à 20 millions d’exemplaires, et un grand prix de la ville d’Angoulême, en 2004. Il est capable de jouer le pédago adulte avec Le Guide du zizi sexuel, de raconter une amitié de musiciens quadras entaillée par le temps dans Une histoire d’hommes et de croquer la mèche de Titeuf pour la 3 584e fois. » Dessinateur, c’est un métier d’enfant. Quand je me lance dans un album de Titeuf, je retrouve les odeurs de l’époque. L’enfance est un continent immense sur lequel chacun a abandonné beaucoup de choses. Ça me fait du bien d’y revenir. Titeuf, c’est mon Dark Vador, celui qui fait tout ce que je n’ai jamais osé entreprendre. » Zep tient ce discours depuis toujours et l’articule comme s’il récitait une poésie près du tableau noir. Premier de la classe mais pas frimeur. Voix claire, débit tranquille. Et l’assurance de celui qui crayonne sans soucis. » Il m’est tout de même arrivé de pulvériser un ordinateur, ce qui est assez plaisant. Et de réduire en confettis un dessin raté. Je suis un calme énervé. » On peine à croquer le bonhomme en grand naïf. Mieux vaut s’en tenir à cette sentence : » Dans mes bédés, j’essaie de montrer qu’il faut apprendre à rire de soi. C’est important pour se connaître et pour vivre dans ce monde. Qu’un gamin le comprenne et je considère que j’ai fait mon boulot. »
L’humour en étendard. Qu’on aurait tort, comme trop souvent, d’imaginer futile quand le sérieux ne respire pas systématiquement l’intelligence. » L’humour permet d’appréhender ce qui peut être effrayant. La sexualité, par exemple. Ce sujet terrorise les adultes. Je pense qu’il faut en parler, surtout aux jeunes. Au mieux, elle est un mystère un peu rigolo, au pire un traumatisme. Voilà aussi pourquoi Titeuf est devenu ado. Je voulais dédramatiser cette période anxiogène. » Ce quatorzième album bouillonne d’hormones. » Lâchez-moi le slip « , lançait le héros dans le tome 8. Il rêverait ici qu’on le lui arrache. A tout le moins de comprendre ce qui se passe à l’intérieur. Le sexe façon Zep prend des couleurs pastel, mais le trait est précis. Il a d’ailleurs commis sur le sujet un album pour les adultes, Happy Sex, qui aligne des pages d’une drôlerie piquante inspirées de faits vécus ou entendus ici ou là. » Tous les auteurs ont dessiné du sexe. C’est notre côté potache. A la fin d’un repas entre dessinateurs, la nappe est remplie de Mickey à poil et de Tintin en érection. »
Zep a le dessin compulsif et l’oeil chroniqueur. » Quand Pratt figure Venise d’une seule ligne, moi je dois dessiner toutes les tuiles des toits. Un trait, c’est comme une voix, il n’y en a pas deux pareils au monde. » L’âge faisant, le voilà moraliste sur son blog What a Wonderful World !, hébergé par Lemonde.fr et bientôt repris en album, dans lequel il se met en scène dans son quotidien. Zep y parle de Dieu, de Star Wars, de ses vacances en Croatie, des migrants et de la façon de porter le maillot de bain. Il s’y dessine parfois pieds nus.
Bienvenue en adolescence ! (Glénat)
Eric Libiot