Une guerre oubliée dans le plus pauvre pays de la péninsule arabique. Avec un blanc-seing donné à l’Arabie saoudite pour lutter à sa guise contre la rébellion chiite.
Le conflit syrien est présenté aujourd’hui comme le théâtre paroxystique de la confrontation séculaire entre le sunnisme et le chiisme. C’est pourtant au Yémen, hors des partenariats internationaux éventuellement modérateurs, que les sunnites et les chiites s’affrontent le plus directement.
La nouvelle guerre du Yémen épouse le calendrier de 2015. En janvier, les rebelles houthis, du nom d’une communauté zaïdite – une branche du chiisme – implantée dans le nord du pays, s’emparent du palais présidentiel de Sanaa et forcent le président Abd Rabbo Mansour Hadi à la démission. Le pouvoir installé par l’Arabie saoudite pour clore la déclinaison locale du » printemps arabe » n’a pas répondu aux attentes de cette minorité soutenue par l’Iran. Riyad perçoit immédiatement le potentiel de déstabilisation que le régime des ayatollahs pourrait exercer sur le royaume à partir de sa frontière méridionale. Il coalise une force de pays du Golfe comprenant Bahreïn, le Qatar et les Emirats arabes unis pour bombarder, à partir de mars, les insurgés. Aden, la grande ville portuaire du sud, est reprise en juillet. Le déploiement de troupes au sol (5 000 hommes) à partir de septembre précipite l’opération dans une autre dimension : les premières pertes humaines au sein de la coalition, une progression difficile vers le nord et la capitale Sanaa, le pourrissement progressif d’une intervention annoncée éclair et chirurgicale.
Sortie des radars occidentaux tournés vers la Syrie, la guerre du Yémen recèle pourtant tous les ingrédients d’une vaste bombe à fragmentation. Les forces loyalistes sunnites y sont alliées à Al-Qaeda qui ne s’est pas privée depuis octobre d’imposer sa loi sur certains quartiers d’Aden. L’Etat islamique tente d’y jouer sa propre carte. Le nouveau roi saoudien Salmane, monté sur le trône le 23 janvier, y développe un tropisme anti-iranien plus marqué que son prédécesseur. Téhéran y agite, par rebelles interposés, le spectre d’une confrontation directe avec le rival saoudien… En dix mois, la guerre a déjà causé la mort de plus de 6 000 personnes, dont nombre de civils. Mais les puissances occidentales ont bloqué devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU une résolution des Pays-Bas réclamant l’examen de la conduite des frappes aériennes qui aurait sans doute mis l’Arabie saoudite en accusation. Au Yémen, la realpolitik ne s’embarrasse pas des droits de l’homme.
Gérald Papy