Et si on pariait sur les petits bonheurs du quotidien ? Voilà le concept de cette exposition organisée au Palais des Beaux-Arts de Lille. Des paysages arcadiens aux plaisirs des fêtes et du corps proposés par les artistes, elle nous emmène en promenade à travers les siècles.
A quoi songent les gens du Nord à l’heure des brumes et brouillards d’automne ? Ils seraient nombreux à vous répondre : » Au soleil. » C’est aussi par un soleil peint par l’américain Roy Lichtenstein que débute l’exposition Joie de vivre. Puis aussitôt, d’autres tableaux ravivent en nous ces délicieux moments liés aux souvenirs d’un séjour le long de la Méditerranée, cette Arcadie que découvrent, dès la fin du XIXe siècle, les peintres épris de paysages, de couleurs chaudes éparpillées sur la toile et d’harmonie.
L’oeuvre d’Henri-Edmond Cross, en petits points scintillants, nous entraîne dans la contemplation de la mer et du ciel que rien ne vient perturber. L’air du soir, ce ne sont que reflets d’or sur fond de bleus légers. Non loin, une toile de Kupka nous renvoie aux plaisirs très physiques qui nous envahissent lorsque, le corps chauffé, nous entrons dans l’eau pour y goûter la fraîcheur et la vie. La journée est belle. Aux heures trop chaudes, la belle de Renoir se glisse sous les arbres dont le feuillage dessine sur son torse pâle des ombres vertes que les critiques de l’époque, demeurés à Paris, compareront à des traces de… pourriture. Laissons-les. Edmond Cross, encore, nous invite à le suivre dans les sous-bois parfumés de lueurs rougeâtres.
Oui, la joie de vivre est bien au rendez-vous encore qu’il ne s’agirait pas de la confondre avec ces autres, spirituelles voire mystiques acquises après bien des années de travail sur soi dans la solitude et le silence. Ici, on parle de la vie de tous les jours et particulièrement de ces instants bénis simples et imprévus. Un spectacle volé, par exemple. Ainsi, celui d’un enfant jouant au ballon (Félix Vallotton), un autre, avec de petits soldats (Renoir). Plus loin, des enfants attablés observent, fascinés, un de leurs petits frères dessinant. Cette composition, réalisée par un petit maître, Jan Verhas en 1877 (musée de Gand) ne résiste pas à la comparaison avec l’oeuvre de Chardin, Petite fille jouant au volant, 1727, mais elle ne manque pas de charme.
C’est dans cette section enfin que l’on retrouve Picasso. On sait qu’il pouvait être un père inquiet, obligeant sa compagne à se relever plusieurs fois par nuit afin de vérifier si son fils ne s’étouffait pas. Mais on sait aussi qu’il ne se privait pas pour emporter l’un ou l’autre jouet vers son atelier. Ainsi, en 1951, quand il dresse le portrait d’un babouin et de son jeune, ce sont deux petites voitures qui serviront pour construire la tête de l’animal. Un an plus tôt, il réalisa un autre assemblage ensuite coulé en bronze. La pièce présentée à Lille et venue en droite ligne du Centre Pompidou, à Paris, après avoir été longtemps une des oeuvres maîtresses de la collection Michel Leiris. Le corps de cette Petite fille sautant à la corde est fait d’une corbeille en osier, ses cheveux, de carton ondulé. Elle est chaussée de vieux escarpins alors qu’une fleur, sur le sol n’est autre qu’un moule à gâteau. La joie est aussi celle du créateur au travail.
De l’expérience intime au partage festif
Cette joie de vivre est aussi au rendez-vous de moments intimes d’échanges avec nos enfants. Du visage de bébé proposé par l’artiste actuel Yan Pei-Ming aux compostions de Maurice Denis ou de Fragonard en passant par une Vierge à l’enfant du XIVe siècle mosan, tout ici est affaire de tendresse partagée. Mais chacun de nous aura aussi vécu ces instants de bonheur lors d’un pique-nique improvisé ou d’un repas à la campagne. Ainsi Un repas de noces à Yport peint en 1886 par Albert Fourié (musée de Rouen). Dans un paysage de ferme, au coeur du verger, le soleil illumine la scène et les rires et le vin et la volaille posée sur la nappe blanche. Certes, il ne faut pas attendre la fin du XIXe siècle pour célébrer les débordements festifs, mais des traditions flamandes du XVIIe siècle au Bal des Quat’z’Arts peint par Georges Antoine Rochegrosse en 1894, que de réjouissances !
Et le corps dans tout cela ? L’artiste si souvent confronté au sérieux du modèle anatomique, aime aussi peindre ou sculpter le corps en joie. Et ce, jusqu’à ces moments d’extase sculptés par Carpeaux en 1869 et qui provoquèrent l’ire des critiques du temps. Les baigneuses de Picasso, qu’elles soient courant sur la plage ou jouant au ballon, transmettent à leur tour, mais de tout autre façon, un sentiment de liberté mise à nu. Presque un rire du corps. Ce dernier thème clôture le parcours de l’exposition avec ce merveilleux sourire gothique en provenance du prieuré Saint-Louis de Poissy ou cet autre d’une » rieuse « , peint en 1861 par Jules Lefebvre sur le visage d’une jeune fille sans chichis. On croisera aussi le tempo des Bacchanales (avec Jules Dalou), celui des caresses (une photographie de Rancinan) ou encore, tout simplement, le plaisir de cette » femme au repos « , allongée nue sur un divan (François Boucher).
Si l’exposition se parcourt avec un réel plaisir, on ne peut s’empêcher d’en pointer deux faiblesses. La première est d’ordre scientifique. On ne peut mettre sur un pied d’égalité la courtoisie du XVIIIe siècle et les plaisirs populaires de la fin du XIXe, le travail adressé à une clientèle privilégiée (les fêtes paysannes de Bruegel de Velours) et celui qui est l’expression d’une liberté conquise. La seconde relève davantage d’un constat un peu amer. L’époque de référence paraît bien avoir été la seconde moitié du XIXe et le début du siècle suivant. L’art y exalte cette simplicité qui fait la joie de vivre. En revanche, dès qu’on s’approche de notre temps, cette joie devient grimace, caricature, dénonciation distante. Serait-ce la faute à la tendance dominante de l’art contemporain qui se veut critique et distante ? Ou au manque de curiosité et d’audace des commissaires qui n’ont pas cherché à explorer d’autres pistes que celles des artistes reconnus ?
Joie de vivre, au Palais des Beaux-Arts de Lille. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.pba-lille.fr
Par Guy Gilsoul