» Weltpolitik «
(1) L’Occident et sa bonne parole û Nos représentations du monde, de l’Europe coloniale à l’Amérique hégémonique, éd. Flammarion, 219 pages.
Le terme » géopolitique » a été inventé à la fin du xixe siècle. Il ambitionne alors de conférer à la » vieille » géographie politique un statut scientifique. Il exprime aussi une volonté de gérer les relations entre les pays, non plus dans un contexte régional, mais à l’échelle de la planète. La révolution industrielle a profondément modifié les échanges : désormais, l’Occident a besoin de normes universelles pour faire circuler les biens, échanger l’information, protéger le commerce, etc. Il conçoit donc l’idée de construire un ordre politique commun, certes, à toutes les nations, mais aussi hautement favorable à ses intérêts bien compris…
Telle est la thèse défendue par Karoline Postel-Vinay (1) dans un bref essai qui retrace, au plus haut niveau, un long siècle d’histoire diplomatique. Elle montre notamment que cette première globalisation û qui dissout les vieux empires comme la Chine û s’accompagne déjà d’une idéologie complexe ! Un grand récit uniformisateur et ethnocentrique emporte tous les peuples de la terre en les présentant comme autant d’acteurs d’une seule et même progression vers la civilisation. La notion de guerre mondiale participe d’ailleurs à cette entreprise unificatrice, explique l’auteur, alors que sa dimension universelle résiste mal à une lecture décentrée…
Les Européens, en plein apogée colonial, sont les maîtres d’£uvre de cette entreprise. Mais, à partir de 1917, les Etats-Unis occupent à leur tour le devant de la scène. Face à la boucherie de 14-18, ils évoquent pour la première fois l’idée d’un combat du bien contre le mal, thème qui sera recyclé lors du second conflit mondial, de la guerre froide et, suite au 11-Septembre, à l’occasion de la » guerre contre la terreur « . Depuis la victoire sur le nazisme, le contexte, pourtant, n’est plus le même. Des pays issus de la décolonisation se sont un moment regroupés autour du principe du non-alignement sur l’Est ou l’Ouest. Les mouvements contestataires des années 1960 et 1970, notamment le courant tiers-mondiste, ont proposé à leur tour des relations planétaires, une lecture différente de celle véhiculée par la » Weltpolitik » dominante. Il en va de même aujourd’hui de l’altermondialisme et de l’islamisme radical…
La question principale que soulève toute cette analyse est surtout celle de l’évolution de l’Europe. Celle-ci s’est longtemps efforcée de construire un ordre mondial à son service avant de s’aligner sur les positions manichéennes des Etats-Unis, qui regardent la diffusion de leur modèle de société comme une mission d’essence divine. Mais, estime l’auteur, les pays européens s’accommodent de plus en plus mal de cette idée de destinée libératrice. Indissociable d’une politique de puissance, elle leur apparaît progressivement étrangère au sous-système international qu’ils construisent pas à pas et dont la logique solidaire se nourrit d’une conception égalitaire de la communauté des nations, à l’opposé des visées impériales de Washington. Le débat transatlantique ouvert par la guerre en Irak ne fait donc sans doute que commencer…
Jean Sloover
Les Occidentaux partagent les mêmes valeurs. Mais divergent sur la manière de les défendre…
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