Voyages en Rimbaldie

Il y a 160 ans exactement naissait  » l’homme aux semelles de vent « . Sous l’égide de Jean-Baptiste Baronian, le Dictionnaire Rimbaud invite à une redécouverte kaléidoscopique de ce fascinant génie.

Quel point commun relie-t-il Patti Smith, Martin Heidegger, Paul Claudel et Philippe Sollers ? Tous ont été des lecteurs passionnés de l’auteur du Bateau ivre et des Illuminations, au point que leurs propres oeuvres, créations ou réflexions philosophiques, en ont été marquées. Et, à ce titre, tous figurent en bonne place dans cette somme impressionnante que constitue le Dictionnaire Rimbaud (1). Déjà auteur d’une biographie du poète parue chez Folio et de L’enfer d’une saison, roman qui mettait en scène de façon saisissante la relation passionnelle unissant Verlaine et Rimbaud, Jean-Baptiste Baronian, entouré d’une trentaine de collaborateurs spécialisés dans divers domaines, a mis toute sa passion et son érudition au service de ce  » grand oeuvre  » rimbaldien.

Mais au fait, en quoi Rimbaud (1854-1891) est-il si unique ? Pour Baronian,  » il est le premier à nous émouvoir par la pensée et non par les sentiments, comme c’est le cas dans toute la poésie qui l’a précédé. C’est en cela qu’il est extraordinairement moderne « . Ce primat de la pensée constitue sans doute l’un des éléments explicatifs de l’attrait que Rimbaud a exercé sur maints philosophes, au rang desquels, outre Heidegger déjà cité, on trouvera aussi Sartre et Deleuze, chacun ayant sa propre lecture du poète.

Qui dit Rimbaud, dit évidemment appel du large, tant l’existence de ce natif de la Balance paraît scandée par les périples pendulaires, les départs coup de tête pour d’improbables ailleurs, les allers- retours obsessionnels. L’aventure abyssinienne qui a occupé une si large part dans la seconde vie de Rimbaud, sa vie  » post-littéraire « , fait naturellement l’objet de nombreuses entrées du Dictionnaire :  » C’est d’ailleurs la partie qui m’a donné le plus de sueurs froides tant cette matière est complexe, confesse Jean-Baptiste Baronian. Les ouvrages consacrés à cette région à l’époque de Rimbaud sont relativement peu nombreux et il n’est guère évident d’en démêler l’écheveau des luttes politiques intestines ou coloniales.  » Les divers auteurs qui se sont attachés à cette période de la vie de Rimbaud réussissent pourtant le tour de force de nous donner accès aux logiques internes présidant aux diverses étapes de cette trajectoire hallucinée.

Terre d’élection des exilés et des proscrits de tous ordres au XIXe siècle, la Belgique tint elle aussi une place de choix dans le parcours rimbaldien. Bruxelles bien sûr, dont on a surtout retenu l’  » épisode  » Verlaine, mais qui a aussi inspiré au jeune Rimbaud de nombreux écrits.

D’autres villes belges ne sont pas en reste, telles Bouillon, Walcourt ou encore Charleroi où un Rimbaud âgé de 16 ans à peine immortalise son séjour Au Cabaret vert dans un merveilleux poème éponyme.  » Je tenais beaucoup, confie le maître d’oeuvre du Dictionnaire, à ce que l’on parle des lieux tels qu’ils étaient au moment où Rimbaud y est passé ou y a vécu. Cela tient sans doute à ma passion pour la géographie, les livres de voyage et les guides anciens comme les Baedeker, que je collectionne.  »

Davantage qu’un mythe ou une légende, Rimbaud devient au fil du temps une icône, affichée en poster par des générations d’ados pour qui la vraie vie est ailleurs, forcément. Plus qu’aucun autre poète avant lui, il aura illustré une certaine  » rock’n’roll attitude  » avant la lettre. Et c’est l’un des charmes subtils de cet ouvrage à entrées multiples que de faire voisiner sans complexes Jean Richepin, l’un de ces formidables auteurs dits de second rang et l’article  » Rock « , où l’on saura tout des fièvres rimbaldiennes qui inspirèrent, entre autres, Bob Dylan, Jim Morrison et Patti Smith.

(1) Dictionnaire Rimbaud, sous la direction de Jean-Baptiste Baronian, éditions Laffont, collection  » Bouquins « , 760 p.

(2) A lire aussi, du même auteur : Rimbaud, Folio poche, 2009 et L’enfer d’une saison (roman), de Fallois, 2013.

Alain Gailliard

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