Vous m’en direz des nouvelles

Ils sont anglo-saxons, bien sûr, mais aussi français, mauricien, mexicain… De plus en plus de romanciers, confirmés ou débutants, s’adonnent aux textes courts. Pour le plus grand plaisir des lecteurs. A vous de choisir.

Petits et grands combats

L’auteur. Charmante brune de 34 ans, Molly Antopol, née en Californie, professeur de creative writing à l’université Stanford, a récolté une moisson de critiques élogieuses lors de la publication, en 2014, de son premier livre, un recueil de huit – brillantes – nouvelles situées aux Etats-Unis, en Israël, en Union soviétique ou encore à Prague.

Le livre.  » Pourquoi tu ne sors pas te mettre au soleil et t’amuser, pour une fois, au lieu de rester assise à l’intérieur et de déterrer ces choses […] horribles qui se sont déroulées avant ta naissance ?  » On imagine Molly Antopol puisant inlassablement, comme sa jeune héroïne, dans le passé familial pour nourrir ses microfictions. Pour son arrière-grand-mère venue d’Antopol, petit village de Biélorussie, en 1910, elle a déniché le récit des incroyables combats menés par de très jeunes partisans échappés du ghetto, en 1942. Pour son grand-père, communiste et traqué par le FBI, elle a écrit Tous aux abris et Le Soldat inconnu. Pour les soldats d’Israël, où elle a vécu quelques mois, elle a imaginé un drôle de drame mettant aux prises deux frères. Alternant avec maestria les narrateurs (homme, femme, vieux, jeune), les époques et les pays, Molly Antopol a le don de parler des choses graves sur un mode faussement mineur. L’engagement politique, les affres du déracinement et celles du couple, les difficiles relations entre générations, le poids du passé… autant de sujets abordés ici avec une élégante légèreté. M. P.

Héroïsmes mineurs, par Molly Antopol, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Papot. Gallimard, 304 p.

India songs

L’auteur. L’île Maurice, où elle est née en 1957, lui a inspiré nombre de nouvelles (premier recueil publié à 19 ans) et de romans, en marge des sentiers battus touristiques. Titulaire d’un doctorat d’anthropologie de l’université de Londres, Ananda Devi écrit en français, a été récompensée par plusieurs prix littéraires et vit à Ferney-Voltaire (dans l’est de la France).

Le livre. Bienvenue en Inde. A New Delhi, où la narratrice fait la connaissance de l’ambassadeur d’un pays nordique lors d’un festival littéraire. Un  » ambassadeur triste  » dans cette contrée qui lui est si étrangère et que son épouse a tôt fait de quitter. A Calcutta, où trois riches Américaines originaires de l’Oklahoma se sont donné pour mission de  » venir à bout  » de la pauvreté et se consacrent à la charité. A Jaipur, la  » ville rose « , où un écrivain se fait piéger par une  » petite vipère  » de journaliste qui le couvre de ridicule. A Pondichéry, où Marie s’inquiète du comportement de sa fille, Hélène, jolie et délurée, que tout le monde regarde  » comme une bête de foire « . En 11 nouvelles, Ananda Devi, dont les parents sont d’origine indienne, explore cette société au contact du visiteur occidental et la complexité d’un pays tiraillé entre traditions et modernité. Elle sonde les rapports de classes, les relations hommes-femmes, la maternité, la violence. Son écriture sensuelle épouse magnifiquement la férocité de son propos. D. P.

L’Ambassadeur triste, par Ananda Devi. Gallimard, 193 p.

La bête haute

L’auteur. S’il fallait trouver le cliché du jeune écrivain américain, nul doute qu’on opterait pour David James Poissant. Né à New York, ce garçon de 33 ans a suivi des cours de creative writing à l’université d’Arizona. C’est ainsi qu’il s’est lancé dans l’écriture de nouvelles, dont certaines ont été publiées dans le New York Times, le Chicago Tribune et Playboy avant d’être réunies dans ce recueil. Chargé de cours à l’université de Floride, Poissant travaille aujourd’hui sur un (gros) premier roman.

Le livre. Comme son titre l’indique, les bêtes à poils, plumes et écailles ne manquent pas dans Le Paradis des animaux. Au fil de ces 12 nouvelles, on croise en effet des bisons, des loups (vaguement garous), des hippopotames, des canards, une perche truitée, un chien nommé James Dean qu’il va falloir euthanasier, un alligator auquel deux individus veulent rendre sa liberté… Mais ce sont évidemment les comportements humains que scrute David James Poissant, avec une grande finesse et une écriture à la fois âpre et sensible. Difficile de ne pas être bouleversé par la dernière histoire, celle d’un père qui a rejeté son fils homosexuel, gravement malade, et qui tente de se faire pardonner. Magistral. B. L.

Le Paradis des animaux, par David James Poissant, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Lederer. Albin Michel, 352 p.

L’amour autrement

L’auteur. Touche-à-tout talentueux, né en 1973, dans la Nièvre, Arnaud Cathrine conjugue l’écriture au pluriel : fiction (adultes et jeunesse), chanson, cinéma, scène – ses  » lectures musicales  » sont fameuses. Son premier roman, Les Yeux secs, est paru en 1998, et son oeuvre compte une trentaine de titres.

Le livre. Quoi ? Encore l’amour ? Oui, mais l’amour autrement.  » Pas exactement l’amour « , pour reprendre le titre de la première des dix nouvelles, sublime : l’idylle naissante entre un jeune écrivain d’origine modeste, introverti, et une journaliste bobo, bien née. Ils sont fous, affamés l’un de l’autre. Elle insiste pour qu’il s’installe dans son appartement, le rhabille de pied en cap, veut l’entretenir. Il réclame davantage, du temps, de l’attention. Il doute, elle le rassure. Puis se décourage. La passion prend fin, la fièvre retombe.  » Après, ils s’aimèrent. Ce fut autre chose.  » Arnaud Cathrine détourne avec brio les flèches de Cupidon, à Paris comme au Cap-Ferret (Une erreur de jeunesse). L’écrivain est dans les à-côtés, le souvenir, les regrets, l’amertume, l’espoir, la perte. Il est drôle (Monsieur Bricolage), triste (Silence radio). Son art du dialogue fait merveille, sa subtilité subjugue. Amours hétéro et homosexuelles ; amours défuntes, tumultueuses, apaisées.  » On aime vraiment le jour où l’on ne sait plus pourquoi.  » Du grand art. D. P.

Pas exactement l’amour, par Arnaud Cathrine. Verticales, 250 p.

Les contes de l’oncle Fouad

L’auteur. Ingénieur des Ponts et Chaussées, docteur en sciences économiques, de nationalité maroco-néerlandaise, Fouad Laroui a un parcours des plus originaux pour un homme de lettres. Prix Goncourt de la nouvelle 2015 pour L’Etrange Affaire du pantalon de Dassoukine, Prix Jean-Giono 2014 pour Les Tribulations du dernier Sijilmassi, le conteur d’Oujda publie cinq nouvelles sous le titre – fantasque, comme à l’accoutumée – Les Noces fabuleuses du Polonais.

Le livre. En ces années 1980, par la grâce d’un accord de coopération, le Polonais Matchek vient jouer les dentistes à Khouribga, au sein d’une gigantesque usine de production de phosphates (dont Laroui fut un temps directeur). Contrairement à ses congénères, le fils du Nord s’intègre, apprend le dialecte local, boit force Coca-Cola au café de la Poste et… se marie. Pour rire, croit-il. Erreur, le voici bel et bien époux de la belle Daouia,  » incasable  » après avoir été répudiée à deux reprises… Changement de décennie et de décor avec la nouvelle suivante. C’est sur le ring que le catcheur de Casablanca, Tawa l’Indien, joue sa survie. Et pour la gagner décemment, sa vie, il se dédouble, au sens propre. Plus loin, à Agadir, un commissaire élucide une vieille histoire de meurtre… On ne se lasse pas des histoires de l’oncle Fouad, de son ton, enchanteur, de la gouaille de ses protagonistes. Juste l’impression d’être auprès de lui, dans l’un de ces cafés marocains où l’on refait le monde, et de ne pas vouloir en bouger. M. P.

Les Noces fabuleuses du Polonais, par Fouad Laroui. Julliard, 180 p.

L’homme, ce drôle d’animal

L’auteur. Cette Mexicaine de 42 ans parfaitement francophone – enfance à Aix-en-Provence, lycée français de Mexico, doctorat sur Octavio Paz à l’EHESS de Paris – a obtenu dès 1992 le prix RFI de la nouvelle pour les pays non francophones. Influencée par l’Oulipo, Guadalupe Nettel est l’auteur de plusieurs recueils et de trois romans.

Le livre. L’incipit de Féline, la troisième des cinq nouvelles, résume assez bien l’ensemble :  » Les relations entre les animaux et les êtres humains peuvent être aussi complexes que celles qui unissent les individus.  » Voilà ce que découvre la narratrice, étudiante en thèse d’histoire, dont la grossesse accidentelle fait écho à celle d’une chatte qu’elle a recueillie.  » On apprend beaucoup des animaux avec lesquels on vit, même les poissons « , renchérit une autre : son couple se délite de plus en plus depuis la naissance de leur petite fille, tandis que le mâle et la femelle Betta splendens s’entretuent dans l’aquarium du salon. Il sera aussi question de cafards, d’un serpent… et même d’un champignon corporel ! A travers ses histoires de maternité, d’amour, de solitude, Guadalupe Nettel révèle ce qu’il y a d’animal en l’homme. Son écriture dépouillée entraîne subtilement le lecteur aux confins du fantastique, sous les auspices de Kafka et de Cortazar, entre Mexico et Paris. D. P.

La Vie de couple des poissons rouges, par Guadalupe Nettel, trad. de l’espagnol (Mexique) par Delphine Valentin. Buchet-Chastel, 128 p.

Monstres & Cie

L’auteur. Originaire de Toulon, Jérôme Orsoni – 38 ans – a suivi des études de philosophie et s’est spécialisé en esthétique. Passionné de musique, il officie comme guitariste dans le groupe Rome Buyce Night et a dirigé la collection Solo aux éditions Le Mot et le reste, spécialisées dans le rock. Par ailleurs traducteur, il a également signé plusieurs essais, dont le bref Au début et autour, Steve Reich (Chemin de ronde), consacré à son rapport aux oeuvres du célèbre compositeur américain.

Le livre. On est toujours le monstre de quelqu’un. Voilà l’une des leçons à tirer des Monstres littéraires de Jérôme Orsoni, placés sous le signe du décalage, de la difformité. Mélangeant à loisir réalité et fiction, cet amateur de l’étrange nous fait découvrir le quotidien d’un certain David Hume (comme le philosophe) -, dont la vie est réglée par deux montres identiques -, l’entreprise littéraire d’un garçon tentant d’écrire un roman à la Robert Walser sur des vitres, ou encore la malédiction du pauvre Sven Aquaviva (son corps se dissout au contact de l’eau). Mais de cette vingtaine de récits – parmi lesquels des poèmes et une étude sur l’écrivain Enrique Vila-Matas -, on retiendra surtout la formidable odyssée de La Métamorphose à l’envers, oeuvre méconnue (réelle ou imaginaire ?) d’un certain Karl Brand, reprenant l’intrigue de Kafka à l’envers : cette fois-ci, un insecte qui se réveille un jour en être humain. Bizarre, décidément… B. L.

Des monstres littéraires, par Jérôme Orsoni. Actes Sud, 176 p.

Par Baptiste Liger, Marianne Payot et Delphine Peras

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