Vous avez dit  » tolérance religieuse  » ?

La construction de mosquées en Belgique fait parfois débat. Qu’en est-il des églises en terre musulmane ? Reportage au-delà des a priori dans les Emirats arabes unis.

Parmi les arguments entendus du côté des opposants les plus farouches au projet largement débattu de construction d’une mosquée à Fléron, dans la province de Liège, l’un revient constamment :  » Quand on pourra construire des églises dans les pays musulmans, on rediscutera de votre projet de mosquée.  » Qu’en est-il exactement ?

Certes, dans un pays comme l’Arabie saoudite, le simple fait de posséder une bible est déjà constitutif d’un délit. Ce n’est cependant pas une généralité en terre d’islam, loin s’en faut. Le Vif/L’Express a enquêté dans un autre pays musulman, les Emirats arabes unis, où l’immigration est majoritaire sans être pour autant religieusement sectaire. Pas à Dubaï qui pourrait vite être taxée d’exception culturelle mais plutôt à Musaffah, dans l’émirat d’Abu Dhabi, au coeur même d’un zoning industriel.

C’est en fait à cet endroit qu’une toute nouvelle église catholique a vu le jour en juin dernier, un événement suffisamment rare pour amener le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Vatican et numéro un de la Curie romaine, à faire le déplacement en personne et à couper le ruban inaugural de l’église Saint-Paul, conjointement avec Paul Hinder, le vicaire apostolique d’Arabie du Sud, et le sheikh Nahyan bin Mubarak al Nahyan, membre de la famille royale émiratie et ministre fédéral de la Culture, de la Jeunesse et du Développement communautaire.

Entourée d’entreprises de logistique et de construction, la localisation de ce lieu de culte catholique peut cependant étonner. Pas aux yeux d’Ashok Gonsalves en tout cas, le curé d’origine indienne en charge de la nouvelle paroisse Saint-Paul. Pour lui, la localisation de cette nouvelle église est des plus optimales qui soient.  » En nous installant là où nos fidèles se trouvent, nous démontrons que c’est en fait l’Eglise elle-même qui va à la rencontre des siens, explique-t-il au Vif/L’Express. Vous savez, les travailleurs ne sont pas riches et, pour eux, se déplacer coûte cher. Là où nous sommes, ils sont dès lors très nombreux à pouvoir faire le crochet par l’église avant ou après leur travail. Mais le plus gros jour d’affluence dans l’église est sans conteste le…vendredi, puisque le dimanche est un jour de travail normal dans les pays musulmans.  »

Depuis son ouverture, les nombreuses messes organisées à l’église Saint-Paul de Musaffah font salle comble, qu’elles soient organisées en anglais, arabe, malayalam (Inde), konkani (Inde), tamoul (Inde et Sri Lanka) ou en filipino (Philippines).  » A l’échelon fédéral, il y a aujourd’hui au moins une église dans cinq des sept émirats, embraie le père Thomas Sebastian, bras droit du vicaire épiscopal d’Arabie du Sud (Emirats, Oman, Yémen). Les terrains sur lesquels les églises sont construites ont à chaque fois été offerts par les familles régnantes des Emirats, à charge ensuite pour les congrégations de financer elles-mêmes la construction et l’entretien de leurs édifices.  » Cette pratique a été instaurée pour la première fois au début des années 1960 par le sheikh Shakhbut Bin Sultan Al Nahyan, l’émir d’Abu Dhabi de l’époque (et frère du fondateur, en 1971, des Emirats arabes unis).

D’autres églises ont également vu le jour dans les émirats, notamment à Jebel Ali, Al Ain, Dubaï, Sharjah ainsi qu’à Abu Dhabi même. Reste qu’une telle ouverture d’esprit fait parfois grincer les dents. Il se dit ainsi qu’en 1975, le roi Fahd d’Arabie avait été scandalisé par l’érection d’une église, avec une croix visible de tous, sur le front de mer de la capitale des Emirats, au point d’en exiger la démolition.

Des écoles, aussi…

Outre des lieux de culte, les Emirats ont également accepté la construction d’écoles où l’islam ne règne pas en maître absolu. Jouxtant la cathédrale Saint-Joseph d’Abu Dhabi, une école du même nom accueille ainsi des centaines d’élèves du primaire et du secondaire.  » Les demandes d’inscriptions excèdent le nombre de places disponibles. Il en va de même à Dubaï et à Fujaïrah, témoigne le père Thomas Sebastian. Peut-être aussi en raison des tarifs avantageux que nous pratiquons dans nos établissements…  » Sur ce même site de Saint-Joseph, différents groupes de prières se réunissent, le catéchisme y est également organisé. Cependant, très peu de mariages sont organisés dans les églises émiraties.  » C’est un fait, confirme Ashok Gonsalves. Dans les Emirats, les travailleurs immigrés arrivent généralement déjà mariés ou profitent d’un congé pour retourner se marier dans leur pays d’origine, entourés des leurs.  »

Il est cependant trois points sur lesquels les autorités fédérales sont intraitables : les conversions, le soutien à des causes politiques et les clochers. Ils y sont interdits. Idem pour ce qui relève des oeuvres sociales car elles sont l’apanage des autorités émiraties. Ces interdictions ont cependant été acceptées comme telles par le clergé.

Une tolérance religieuse, de gré ou de force !

Les Emirats arabes unis se sont dotés, à la fin du mois dernier, d’une nouvelle législation contre toute forme de discrimination sur la base de la religion, de la caste, de la croyance, de la doctrine, de la race, de la couleur ou de l’origine ethnique. Ce texte comporte ainsi des dispositions pour sanctionner quiconque taxerait d’infidèles ou d’incroyants d’autres groupes religieux. Aux dires des autorités, cette loi est destinée à fournir une base solide pour l’environnement de tolérance, d’ouverture d’esprit et d’acceptation d’autrui dans les Emirats. Elle vise ainsi à protéger les personnes, indépendamment de leur origine, croyance ou race, contre les actes qui incitent à la haine et à l’intolérance religieuse.

Comme les sanctions pour la violation des dispositions de la loi comprennent des peines de prison de six mois à plus de dix ans et des amendes de 50 000 dirham émiratis (10 000 euros) à 2 millions de dirham (400 000 euros), la tolérance religieuse sera indubitablement la règle, de gré ou de force…

Par Jean-Marc Damry à Musaffah, dans les Emirats arabes unis

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