Rencontre, à Rotterdam, avec le XVIe siècle dans sa version politiquement incorrecte.
Entre la naissance de Jérôme Bosch et la mort de Pieter Bruegel l’Ancien, trois générations d’artistes opèrent une véritable révolution dans l’art. Les sujets religieux, les paysages et les portraits qui ont longtemps formé le répertoire exclusif de la peinture perdent de leur superbe. Et pour cause : quelques artistes se détachent des » grands classiques » pour livrer des représentations de la vie quotidienne. Ce qu’on appelle » la peinture de genre « .
Le parcours s’engage sur l’art de la gravure. La discipline joua un rôle essentiel dans l’avènement de ce type de production puisque, jouissant d’une plus grande liberté, elle figura des scènes » populaires » bien avant la peinture. D’emblée, on observe que les scènes de genre s’intéressent à des moments où le difficile » train-train » est interrompu. Très nombreuses sont les représentations de kermesses et de noces où les protagonistes se laissent dominer par leurs plus bas instincts. Ce petit peuple de pochards qui festoient gaiement incarne efficacement la débauche, l’ignorance, la naïveté… Ce sont ainsi les couches les plus populaires qui sont ici immortalisées. Le manque de distinction de ces oeuvres contraste étonnamment avec leur haut niveau de sophistication artistique. La virtuosité technique est dans chaque détail. Appréciez la perfection du Vagabond de Jérôme Bosch : le démuni regarde derrière lui le spectacle qu’offre un bordel à l’arrière-plan.
Bosch est vite rejoint par une quantité de disciples (d’aussi grande qualité). L’exposition présente des oeuvres signées Massys, Aertsen, Van Hemessen, van Reymerswaele, Provoost, van Cleve… Si la Renaissance permettait de rire d’une paire de fesses mises à nu, elle s’amusait aussi d’un amour mal assorti (une femme très jeune accompagnée d’un homme laid et vieux)… A cette époque, on était d’ailleurs convaincu que la méchanceté des hommes se lisait dans leur apparence physique. Pour résumer, les » mauvais » étaient laids.
Bruegel immanquable !
La fin de cette période est marquée par les oeuvres de Pieter Bruegel l’Ancien. Il boucle naturellement le parcours avec ses fêtes paysannes exubérantes où les personnages affichent des comportements déplacés. Le tour de force de l’exposition ? Parvenir à emprunter des tableaux qui ne voyagent jamais. Un rêve s’est même réalisé : les commissaires – qui ont planché trois ans pour réunir ces oeuvres – ont obtenu Le paysan et le voleur de nid. L’occasion d’évoquer le cas si particulier de Bruegel dont il existe finalement assez peu d’opus. Beaucoup résident de manière permanente à Vienne. Le paysan et le voleur de nid est la composition la plus monumentale de l’artiste. Elle représente un paysan qui désigne au spectateur un imprudent voleur de nid que son forfait manque de faire tomber de l’arbre. Une situation cocasse très appréciée des contemporains du peintre.
Comme le soulignent les conservateurs Friso Lammertse et Peter van der Coelen : » On ne peut pas regarder Bruegel sans au moins sourire. » Et pour cause : l’humour est grivois, les blagues apparaissent simples et peu fines, la bêtise est largement illustrée. Ces oeuvres peuvent aussi être appréhendées comme autant de messages lancés à ceux qui mènent une vie débridée et pervertie, ou qui violent la morale conjugale. A savoir les paysans aux pratiques plus libres. Et puis surtout, elles nous prouvent que cette époque ne manquait ni d’humour, ni d’imagination !
La découverte de la vie quotidienne. De Bosch à Bruegel, au Museum Boijmans Van Beuningen, à Rotterdam. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.boijmans.nl
Gwennaëlle Gribaumont