Vénus sans dessus dessous

Pour Europalia, voici, d’après une idée d’Umberto Eco, une exposition conçue tout entière autour d’un seul tableau : La Vénus d’Urbino, peinte par Titien dans les années 1530

Vénus dévoilée. Bruxelles, palais des Beaux-Arts. Du 11 octobre au 11 janvier 2004. Du lundi au dimanche, de 10 à 18 heures. Le jeudi jusqu’à 21 heures. Tél. : 02 507 85 94.

Comment, encore, voir un tableau, à l’heure des musées encyclopédiques et des expositions pléthoriques ? Comment renouer avec ce plaisir et cette magie de la découverte, qui faisaient le bonheur et le moteur des anciens cabinets de curiosités, tout en jouant la carte de la culture pour le plus grand nombre ? La réponse d’Umberto Eco, philosophe, sémiologue et romancier (auteur, entre autres, du Nom de la rose) : en organisant une exposition temporaire autour d’un seul tableau. A l’heure où les musées du Vatican annoncent une fréquence annuelle de plus de trois millions et demi de visiteurs, et que le seul musée florentin des Offices en comptabilise plus d’un million et demi, force est de reconnaître que le  » trop  » (de public comme d’£uvres) fatigue. Pour Eco, en effet, le musée traditionnel n’offre pas de contexte aux £uvres, qui sont présentées individuellement, et leur abondance même empêche de les percevoir et de les mémoriser. D’où l’idée d’Eco : une exposition s’articulant autour d’une £uvre emblématique, présentant son contexte historique, l’histoire de sa thématique, l’étude de ses détails et de sa symbolique, son influence dans l’histoire de l’art. Démonstration pratique, grâce à Europalia, avec La Vénus d’Urbino, chef-d’£uvre de Titien (1538).

L’enquête, menée grâce aux recherches du Pr Omar Calabrese, aboutit à une fabuleuse mise en scène en trois actes via tableaux, reproductions, dessins, costumes d’époque, manuscrits, matières colorantes, le tout enrichi par de fréquents recours aux technologies de l’image virtuelle.

Ainsi donc, voici, exceptionnellement prêté par les Offices, ce nu allongé avec tenture de velours vert, bouquet de fleurs et petit chien. Une femme gourmande, coquine peut-être : elle paraît se soucier bien peu des deux servantes qui, penchées vers un coffre, à l’arrière de la scène, prennent ou rangent une robe. La belle s’apprêtait-elle donc à se vêtir ou, au contraire, venait-elle de se déshabiller ? On pourrait s’arrêter là, et vivre ce bonheur du seul regard. Mais il y a le contexte, le cheminement qui s’impose et, avec lui, l’attitude du lecteur attentif. Tout le long du parcours, à plusieurs moments, des détails photographiés de la peinture nous seront rappelés. A d’autres, des reproductions remplaceront des  » originaux  » qui argumentent le propos.

Le premier chapitre nous plonge dans la Venise du xvie siècle, les lieux fréquentés par Titien, ses ateliers, ses protecteurs, mais aussi, via une reproduction de la Vénus endormie de son prédécesseur Giorgione. On gagne les cénacles où s’expriment les débats philosophiques du temps. Dans la Sérénissime, on y nuance le néoplatonisme ambiant, qui faisait du nu féminin la métaphore de l’idéal dans ce qu’il a d’absolu, d’une nouvelle vision de la beauté où, enfin, comme avec la musique, on peut atteindre les cinq sens et, parmi ceux-ci, pourquoi pas ?, le toucher. D’où, en finale de cette section, une approche inédite de l’érotisme du temps. Et, de là, en début de deuxième chapitre, on aborde la couleur, et les rouges en particulier. S’approchant des détails iconographiques, on interroge d’autres fragments : les chaussures, un n£ud dans la draperie, les fleurs du bouquet, la fenêtre du fond… Enfin, la dernière partie se penche, de manière plus générale, de la période étrusque à Paolini, en passant par Vasari, Michel-Ange, Vélasquez, Goya, Jordaens, Manet, Delvaux, Modigliani ou encore Chirico, sur les mille et une façons de  » dévoiler  » le mot et le corps de Vénus.

G. G.

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