Une somme de micromarchés

Les experts mettent la pression : il n’y a pas assez de logements à Bruxelles. Les prix s’en ressentent, leur taille aussi.

Le marché immobilier bruxellois n’est à nul autre pareil. En Belgique, du moins. C’est à Bruxelles qu’on trouve le plus d’appartements, de maisons de rapport, de maisons de maître. Le moins d’unifamiliales, du moins proportionnellement, et de terrains à bâtir. Les locataires y sont les plus nombreux : près de 60 % des ménages, alors qu’en Flandre ou en Wallonie ils ne sont que 20 à 30 %. Par ailleurs,  » le spectre le plus large de la demande immobilière en Belgique se rencontre à Bruxelles, ajoute Eric Verlinden, administrateur délégué de Trevi Group. Le bâti résidentiel y est aussi varié que le profil des candidats-acquéreurs, tels qu’on les croise dans la rue « . Ce qui ne veut pas dire qu’offre et demande se rencontrent aisément.

Autre particularité du marché bruxellois : il est terriblement disparate. Chaque commune compte son lot de quartiers plus ou moins typiques. Et des communes, la Région bruxelloise en aligne 19 ! C’est dire combien la quête est fastidieuse pour les candidats-acquéreurs. Et l’analyse, ardue pour les experts en immobilier. Il n’empêche, au-delà de ses différences, le marché bruxellois répond aux mêmes tendances générales que les deux autres Régions. Car les éléments qui interviennent sur l’évolution des prix sont, sauf exception, suprarégionaux : les taux d’intérêt hypothécaires, le pouvoir d’achat, l’inflation, la fiscalité.

A l’échelle belge, et après une année 2010 vrombissante, forte de son boom d’après-crise et de la faiblesse des taux d’intérêt hypothécaires, le premier semestre de 2011 semble faire pâle figure.  » Les prix de l’immobilier ont affiché une légère baisse (- 0,7 %), pour un niveau d’activité normal, précise Julien Manceaux, économiste chez ING. La croissance réelle des prix à la fin 2011 sera sans doute nulle et faible pour 2012 et 2013, marquées par une baisse du pouvoir d’achat liée à la hausse des taux à partir de la fin 2012. « 

Cela étant, le marché est confronté à un défi démographique qui pose particulièrement problème à Bruxelles : une raréfaction des logements par rapport au nombre de ménages, en augmentation.  » A première vue, le pays ne manque pas de logements, détaille l’expert. En effet, ceux-ci ont fortement proliféré pendant la dernière décennie (+ 7,6 % entre 1995 et 2010). Par contre, le nombre de ménages a, lui, grimpé deux fois plus vite que la population.  » En cause ?  » Une diminution de taille, ceux-ci passant de 2,5 à 2,3 personnes en moyenne (NDLR : 2,05 à Bruxelles, en 2008). Le fait de divorces, ménages monoparentaux et, surtout, de vieillissement de la population.  » Conséquence,  » si le nombre de logements par habitant a progressé depuis 2000, par ménage il a baissé de 2 % « . L’enjeu réside donc dans la capacité de l’offre à suivre la demande. Et c’est à Bruxelles que la situation est la plus préoccupante.  » Entre 2000 et 2010, le nombre de logements pour 1 000 ménages a baissé de 5 %. Et en 2009, en termes nets, on a même détruit du logement !  » souligne Julien Manceaux. Bien évidemment, cette réalité a un  » impact important  » sur les prix. Seul échappatoire à une hausse des prix programmée dans la décennie à venir, la mise en place d’  » une politique de logement dynamique afin d’atténuer cet effet positif pour les prix en permettant à l’offre de s’ajuster à la demande « , avertit l’économiste.

S’il devait s’aventurer dans un essai de classification, Eric Verlinden identifierait cinq territoires immobiliers.  » Le nord avec Jette, Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe, Koekelberg et Molenbeek-Saint-Jean « , énumère-t-il.  » Autrement dit, la zone qui s’étend au-delà du canal, intervient Alain Bellay, de la Commission immobilier de l’Union des géomètres- experts de Bruxelles (UGEB). Moins bien cotée, moins recherchée aussi, mais à des prix qui n’en sont par conséquent que plus raisonnables… pour des biens plus grands qu’ailleurs !  » Et Eric Verlinden de poursuivre :  » A l’ouest, Anderlecht, complétée par quelques rues de Forest et de Saint-Gilles. Le sud comprend les beaux quartiers résidentiels d’Uccle, Ixelles, ainsi qu’une petite partie de Forest et de Saint-Gilles. Plus loin, à l’est, même paysage, que ce soit à Watermael-Boitsfort, Auderghem, Woluwe-Saint-Pierre et Saint-Lambert ou sur le flanc droit d’Etterbeek.  »  » Des communes courues par des particuliers qui en ont les moyens, quitte à vivre dans de plus petites surfaces « , glisse Alain Bellay. Outre les points cardinaux, il reste le centre de la capitale,  » qui mord allègrement sur les communes avoisinantes de Saint-Gilles, Etterbeek, Ixelles et Saint-Josse « , reprend le premier. Et Schaerbeek ?  » C’est un casse-tête, continue-t-il. Elle tend vers Evere à l’est, plus moyen de gamme, tandis qu’elle se rapproche du centre et de Saint-Josse par ailleurs. Autour de Josaphat, les prix montent en flèche, avec des écarts de 15 à 20 % supérieurs. « 

Un déficit annuel de 2 000 à 3 500 logements

Les prix au mètre carré suivent grossièrement le même découpage.  » Compter 2 200 à 2 500 euros au nord et un fifrelin plus pour l’ouest, qui débute plus bas (2 100-2 200) pour mieux grimper (2 600-2 700), estime Eric Verlinden. On passe au niveau supérieur au centre-ville, avec une moyenne de 3 000 euros, allègrement dépassée à l’est (entre 3 300 et 3 500). Le sud, quant à lui, présente des disparités, avec des prix s’échelonnant entre 2 300 et 2 400 euros, jusqu’à 4 000 à 5 000 euros par endroits.  » Des moyennes calculées à la louche, pour se faire une idée. Inutile de préciser que les perles rares, dans leur version bijou précieux ou bonne affaire, parsèment le massif bruxellois et se révèlent à ceux qui les traquent.

Bruxelles étant bâtie à près de 80 %, les terrains vierges sont une denrée rare. Mais pas encore épuisée, si on sait où regarder.  » En périphérie, et notamment à Woluwe-Saint-Lambert, voire dans les quartiers décentralisés de Uccle, non loin de Stalle et Calvoet, pointe Eric Verlinden. Et bien entendu une fois passé le canal, où les opportunités sont plus fréquentes.  » Par contre, le sud est à oublier, comme en témoigne le notaire Robert Langhendries, qui y a établi son étude.  » Les terrains à bâtir y sont rarissimes. Et les derniers disponibles sont cédés à prix d’or, directement en vente publique. Soit entre 1 500 et 2 000 euros le mètre carré pour les plus petits d’entre eux et non moins de 1 000 euros le mètre carré s’ils atteignent 15 ou 20 ares.  » Rien d’étonnant dès lors à ce que les constructions neuves s’adressent avant tout à des nantis, à coups d’immeubles à appartements de standing. Question de rentabilité. Toujours est-il que  » la réserve foncière bruxelloise s’amoindrit, déplore Eric Verlinden. Et cela va se sentir dans les 3 à 4 années à venir. On compte environ 4 000 nouveaux logements par an, la plupart neufs (3 200), le reste (800) étant le fait de rénovation et autres mises en conformité. Or la demande annuelle est de 6 000 à 7 500 biens « . S’il y a toujours la possibilité de démolir pour reconstruire, la situation semble un peu bouchée. A moins que le public ne change ses desiderata.

 » Le rêve d’acquérir une petite maison est aujourd’hui une utopie financière pour beaucoup de ménages bruxellois, met en garde Alain Bellay. Les conditions économiques sont loin d’être optimales et les banques redoublent de sévérité. Les candidats-acquéreurs dont le budget est sous la barre des 500 000 euros doivent donc modifier leur stratégie d’achat.  » Et se tourner vers des biens moins chers. C’est-à-dire plus petits ou à rénover. Les critères de sélection ne sont plus immobiliers, mais budgétaires.  » Les études font état de baisse des prix moyens des maisons et appartements. Mais ce qu’il faut surtout comprendre par là, c’est que le budget consacré à l’immobilier diminue « , conclut-il.

Tournant du marché

De quoi faire la part belle aux petits investisseurs.  » Fragilisés par les déboires financiers des marchés, ils sont nombreux à acquérir des maisons pour les rénover, les transformer et… les louer « , constate Eric Verlinden. Des appartements 1 chambre, des grands studios, des petits 2 chambres –  » qui s’apparentent plus à une chambre et un bureau en pratique  » – etc. Autant de compartimentations dont les surfaces rétrécissent.  » Alors que le logement 1 chambre s’étale sur 60-65 mètres carrés en moyenne, on va passer à du 50-55 mètres carrés. Soit 15 % de réduction de la surface et, logiquement… du prix « , pronostique-t-il.  » La politique urbanistique se doit d’accompagner ce tournant du marché. En facilitant la délivrance de permis relatifs à des petits logements, afin de rencontrer la demande. Ce qui n’est pas du tout le cas pour l’instant.  » D’où, selon Eric Verlinden, qui s’aligne en un sens derrière les conclusions de Julien Manceaux, une augmentation des prix des biens de superficie modeste, causée par leur raréfaction. Le comble du comble, en somme.

FRÉDÉRIQUE MASQUELIER

En 2009, en termes nets, on a même détruit du logement !

Le comble du comble : les prix des biens de superficie modeste augmentent, à cause de leur raréfaction

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