Une secte dans l’Eglise ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Implantée dans 30 pays, dont la Belgique, la communauté charismatique des Béatitudes est accusée de dérives sectaires par certains de ses membres. Enquête.

Agitation inhabituelle à Thy-le-Château, au sud de Charleroi. La plupart des résidents du château, membres de la communauté des Béatitudes, partent en pèlerinage.  » C’est un bonheur immense, confie l’une des s£urs. Nous allons à Medjugorje, où nous avons rendez-vous avec la Sainte Vierge…  » Haut lieu d' » apparitions  » mariales depuis un quart de siècle, le village de Bosnie-Herzégovine attire chaque année des centaines de milliers de fidèles venus du monde entier. Le Vatican n’a toutefois pas reconnu ces manifestations  » surnaturelles  » et interdit, en principe, toute propagande pour Medjugorje.

Les mouvements charismatiques n’en ont cure. Parmi eux, les  » Béats  » sont les plus actifs dans la promotion du site : publication de livres, diffusions des  » messages  » de la Vierge, organisation de voyages… Ils ont même installé leur  » maison  » sur place, contre la volonté de l’évêque local. La très catholique communauté aurait-elle oublié l’une de ses règles essentielles, l’obéissance absolue ?

Information judiciaire

Si la filiale belge des  » Béatitudes  » est accaparée par les préparatifs du séjour, les dirigeants français de la communauté nouvelle ont d’autres chats à fouetter. Leurs pratiques financières font l’objet d’une information judiciaire. Le fondateur du mouvement charismatique, appelé  » Ephraïm « , aurait délocalisé il y a peu une partie des activités de la communauté en Suisse, à cause, semble-t-il, d’ennuis avec le fisc français. Certains  » bergers  » (chefs de communauté) ont apparemment une conception particulière du v£u de pauvreté que les membres sont censés observer. L’un d’eux demeurait dans une résidence avec piscine attenante au couvent de Cordes-sur-Ciel. Un autre se serait offert une maison de sept chambres près d’Arcachon, en Gironde.

Des organismes de lutte contre les sectes ont surtout alerté les autorités ecclésiastiques sur les stages d’accompagnement psychospirituel et autres sessions d’  » agapè-thérapie  » (guérison par l’amour de Dieu) organisés par les  » bergers « . Une quarantaine de plaintes provenant de toute la France ont été collectées par ces associations. D’anciens membres de la communauté parlent de manipulations mentales, d’humiliations, voire d’une entreprise de racket… Les Michelena, un couple de trentenaires qui, avec ses trois enfants, a séjourné, entre 1999 et 2001, aux Béatitudes, dénonce ces pratiques dans un livre, Les Marchands d’âmes (Golias).

La branche belge de la communauté pourrait-elle être secouée par la tempête ? Le Centre d’information et d’avis sur les organismes sectaires nuisibles (Ciaosn), communément appelé l’Observatoire des sectes, se veut rassurant :  » Des citoyens belges ne nous ont sollicités qu’à trois reprises, depuis 2001, à propos des Béatitudes, assure Anne-Sophie Lecomte, chargée du secteur charismatique. C’est peu. D’autant qu’aucune de ces demandes de renseignement ne faisait état d’une situation alarmante. Les témoignages vraiment inquiétants concernent plutôt les Eglises pentecôtistes ou du Réveil, bien implantées dans la diaspora africaine en Belgique…  »

Soumission

Côté français, on tire pourtant la sonnette d’alarme. Le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) relève des situations d’infantilisation des membres, de soumission à un supérieur, de travail harassant sans rémunération… Des familles se sont plaintes de perdre le contact avec des proches entrés chez les  » Béats « .

La presse hexagonale, du Canard enchaîné au Nouvel Observateur, en passant par le magazine chrétien La Vie, a donné, ces dernières semaines, un écho à ce feu nourri de critiques.  » On écrit sur nous beaucoup d’inepties, fondées sur des témoignages de gens fragiles, estime s£ur Marie de la Visitation, la Bruxelloise qui dirige Feu et Lumière, le mensuel des Béatitudes. Nous n’avons que trente ans d’existence, alors que d’autres courants de l’Eglise ont une sagesse millénaire derrière eux. Nous acceptons de nous remettre en question. Mais constatez aussi que les églises se vident, alors que nous, nous suscitons des vocations.  »

Reconnue par Rome depuis 2002 et présente dans une trentaine de pays, du Liban au Canada, la communauté compte, à ce jour, 1 450 membres, dont une quarantaine en Belgique. Un tiers des adeptes sont des frères et s£urs consacrés ; un autre tiers, des célibataires en recherche de vocation ; et un dernier tiers, des couples avec ou sans enfants. Le site Internet de la communauté wallonne de Thy-le-Château précise les intentions des adhérents :  » Nous avons le désir d’imiter le plus possible le modèle de la communauté chrétienne primitive par la vie commune, le partage des biens, la pauvreté volontaire… La vie de la communauté est avant tout contemplative.  »

 » Maisons  » châteaux

Les Béatitudes sont installées dans pas moins de 77  » maisons « , un euphémisme pour désigner de splendides propriétés, monastères ou châteaux.  » En général, en bien mauvais état, abandonnés par d’autres communautés religieuses « , tient toutefois à préciser s£ur Marie de la Visitation.  » Ces investissements immobiliers ne sont pas surprenants, remarque l’Observatoire belge des sectes, car les membres se dépossèdent de leurs biens au profit de la communauté.  »

Dirigée par le  » berger  » Giovanni di Gesù, la  » maison  » belge de Thy organise surtout des retraites et des journées de formation spirituelle, animées, notamment, par Mgr Léonard, évêque du diocèse de Namur, dont dépend la communauté. Elle est aussi réputée pour ses  » sessions de danses d’Israël « .  » Nous sommes très attachés aux racines hébraïques de notre foi « , signale l’une des s£urs. Une référence conforme aux préceptes de Gérard Croissant, alias Ephraïm, le gourou fondateur, qui, après plusieurs séjours en Israël, a élaboré une spiritualité très £cuménique.

De confession protestante dans sa jeunesse, fasciné par les prédicateurs évangélistes américains, Croissant a finalement fait son chemin au sein d’un catholicisme à bout de souffle dans nos pays d’Europe. Et quel chemin ! Il est ordonné diacre en 1978. Entre-temps, en 1973, il a l’  » inspiration divine  » dans une pizzeria de Montpellier. Avec sa compagne, Jo, et un couple d’amis, le barbu décide de vivre en communauté. Ainsi apparaît la Communauté du Lion de Judas et de l’Agneau immolé, rebaptisée, en 1991, Communauté des Béatitudes. Aujourd’hui, Ephraïm ne dirige plus le mouvement, mais y conserve une influence et signe les éditoriaux du mensuel Feu et Lumière, entièrement fabriqué par des bénévoles de la communauté, installés dans un château près d’Angers. On le dit  » en fuite « , en Afrique.  » Il est en France, malade « , assure un membre.

Depuis trois ans, des fidèles dénoncent les méthodes jugées autoritaires de François-Xavier Wallays,  » modérateur général  » (supérieur) de la communauté. Il aurait évincé des laïques du gouvernement pastoral et, en 2005, des frères et s£urs et des familles contestataires ont quitté le mouvement.  » Le « patron » des Béatitudes a été convoqué deux fois au Vatican pour s’expliquer, assure Christian Terras, de la revue Golias. Il fait croire que les seuls problèmes et oppositions rencontrés sont l’£uvre du Démon.  » Sa réélection a été contestée par certains laïques, admet un membre. Selon d’autres, les Béatitudes donneraient plus que jamais la priorité aux rentrées d’argent.

Incitations à la prudence

 » En Belgique, les Béatitudes font désormais partie du paysage ecclésial, constate Eric de Beuklaer, porte-parole de l’épiscopat belge. Un cas mis à part, il n’y a pas eu, ces dernières années, d’intervention officielle d’un évêque à l’encontre d’une communauté charismatique. En revanche, il y a parfois des incitations à la prudence. Le Renouveau a fait ses maladies de jeunesse.  »

Certains membres évoquent des carences dans la formation théologique et philosophique donnée par les Béatitudes, notamment à Thy-le-Château.  » Une grande fumisterie intellectuelle « , confie un ancien participant aux formations wallonnes, cité par Golias.  » Au début, les formations laissaient à désirer, reconnaît s£ur Marie de la Visitation, la directrice belge de Feu et Lumière. Mais, il y a une dizaine d’années, Rome a demandé l’amélioration de notre enseignement, ce qui a été fait. Aux Etats-Unis, une communauté comme la nôtre serait tout à fait dans la norme. En France ou en Belgique, on dérange encore, comme si nous étions des gens bizarres. Et quand nous parlons d’obéissance, on nous accuse d’abus de pouvoir !  »

Olivier Rogeau

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