Une sale guerre oubliée
Dans le Rif marocain, au début des années 1920, le soulèvement des tribus fut impitoyablement réprimé. Bombardements, armes chimi-ques… Une répétition militaire méconnue, où Pétain et Franco se sont » illustrés « .
Qui se souvient de la guerre du Rif ? Sûrement pas les vacanciers qui se prélassent sur les plages de Cabo Negro, près de Tétouan, ou le long des doux rivages d’Al-Hoceima. Cette région septentrionale du Maroc, barrée de rudes montagnes, fut pourtant le cadre idyllique d’un épisode infernal, que racontent avec talent deux vrais baroudeurs, l’avocat Vincent Courcelle-Labrousse et le journaliste Nicolas Marmié. Une guerre oubliée par commodité, qui prit l’allure d’un » choc des civilisations « , permit aux fascistes espagnols de se faire les dents et marqua une sorte d’apogée de la violence coloniale. Largement de quoi rouvrir le dossier.
Depuis 1912, Lyautey, qui rêve d’un » protectorat courtois » pour le Maroc, y décide de tout élégamment, au nom de la France. Sauf du sort d’une région concédée dès le départ à l’Espagne, le Rif. Dans ce croissant de Méditerranée, on parle le tamazight, l’idiome millénaire des Berbères, bien plus que l’arabe, et on ne reconnaît guère l’autorité du sultan, encore moins celle des colonisateurs. » Alors qu’au lendemain de la Grande Guerre, écrivent les auteurs, les calendriers de la France convalescente célèbrent encore le sacrifice de ses troupes indigènes, un peuple de montagnards berbères, conduit par un chef hors du commun, Abdelkrim el-Khattabi, va faire vaciller l’illusion coloniale. «
Juge, instituteur, puis chef de guerre
Leader-né, formé en Espagne et soucieux de libérer les siens de l’archaïsme, Abdelkrim, qui fut juge, instituteur et journaliste avant de devenir un redoutable chef de guerre, s’insurge en unissant les tribus du Rif. Le 21 juillet 1921, à Anoual, 3 000 Rifains déterminés fondent sur les Espagnols. Le carnage dure trois semaines et se solde par 16 000 morts espagnols et des milliers de blessés ; 20 000 fusils, 400 mitrailleuses, 200 canons sont pris par les » rebelles « .
Le désastre est d’une telle proportion qu’il provoque, par contrecoup, un pronunciamiento en Espagne. Le général Primo de Rivera prend le pouvoir et instaure une dictature. De son côté, Abdelkrim proclame la République confédérée des tribus du Rif, première tentative d’Etat décolonisé. Poursuivant sa lutte, Abdelkrim attaque, au printemps 1925, les postes français. Paris envoie sur place Pétain, le héros de Verdun, qui débarque avec des chars, des avions, un équipement dernier cri et prend la tête d’un contingent de près de 200 000 hommes, auxquels s’ajoute une armée espagnole de taille équivalente, dans laquelle va s’illustrer un officier du nom de Franco.
Avec le soutien des surréalistes
Aragon et Breton, communistes français et surréalistes, prennent parti pour les insurgés ; reporters et photographes affluent sur les lieux. Pour vaincre, les Européens, qui disposent d’un appui aérien américain, vont recourir à des moyens inhabituels, notamment à un programme secret pour fabriquer des armes chimiques. » Une usine est installée dans les environs de Madrid, la Maranosa, montrent les auteurs. En juin 1922, à Melilla, un atelier de fabrication d’obus toxiques – phosgène, chloropicine – est également créé avec une assistance française. » Des avions munis de gaz moutarde bombarderont des villages entiers, faisant des Marocains les premiers civils gazés de l’histoire contemporaine.
En mai 1926, Abdelkrim se rend, mais sa légende se poursuit, jusqu’à sa mort au Caire, en 1963. La barbarie saisissante des combats, un ballet d’espions, la rencontre de Pétain et de Primo de Rivera, le destin romanesque d’Abdelkrim et l’implication méconnue de la France font de ce livre une lecture marquante. l
La Guerre du Rif, par Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié. Tallandier, 368 p.
Christian Makarian
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