Une saison en enfer

(1) Je devais aussi tuer, Albin Michel, 334 pages.

Âmes sensibles s’abstenir : le livre de Nima Zamar (1) est de ceux qui soulèvent le c£ur et donnent envie de fuir ce monde. Que raconte-t-il ? L’histoire d’une jeune juive française, sioniste convaincue, qui immigre en Israël en 1993. Pour exorciser la Shoah, elle s’engage dans Tsahal, l’armée israélienne, voie royale d’insertion patriotique. Recrutée par les services secrets hébreux, elle infiltre tour à tour les mouvements palestiniens du Front du refus anti-Arafat, le Hezbollah et le Hamas, afin de pirater leurs réseaux informatiques. Efficace, elle mène à bien la plupart de ses missions, mais elle est arrêtée à plusieurs reprises et chaque fois sauvagement torturée.

La description détaillée de ses souffrances ne suffit cependant pas à rendre compte du malaise que suscite l’ouvrage. Celui-ci s’enracine aussi dans le tableau qu’elle brosse des Arabes. Elle les dépeint comme des faux jetons congénitaux, des fanatiques viscéralement haineux, des brutes droguées, des fous furieux, des barbares hystériques, des paranoïaques sadiques, etc. Le discours est à ce point dénué de nuance qu’il semble vite excessif. Certes, ceux qui commanditent les attentats-suicides n’ont rien d’enfants de ch£ur ; leur violence tournée sciemment contre des civils innocents relève plus de la haine pathologique que de l’amour du genre humain. De même, nul ne prendra les régimes politiques arabes comme celui de la Syrie pour des modèles de démocratie. Ce sont, pour la plupart, des Etats totalitaires qui règnent volontiers par la terreur et l’arbitraire. Mais on ne sait jamais très bien si l’image bestiale que Nina Zamar renvoie des Arabes concerne les radicaux qu’elle côtoie et les forces policières de l’ordre baasiste auxquelles elle est confrontée ou si elle s’applique aux populations libanaise, libyenne et syrienne.

Une autre cause de l’embarras du lecteur est que Nima Zamar se tire d’affaire à chaque arrestation dramatique dans des conditions rocambolesques qui semblent sortir d’un film hollywoodien et que l’on a, pour cette raison, peine à croire. A la fin de son livre, elle anticipe d’ailleurs cette objection mais sans avancer de contre-argument décisif. Dire  » Je n’ai aucun intérêt à raconter des histoires  » ou  » Je ne tirerai aucune gloire de ces pages  » est une explication bien légère pour garantir la véracité et l’exactitude des événements si lourds de sens qu’elle relate par ailleurs. Personne ne semble de surcroît connaître l’auteur. A la télévision, elle est apparue masquée.  » Je suis une anonyme dans la foule, ni mon nom, ni mon visage ne sont connus « , reconnaît-elle. On peut le comprendre : la publication de son histoire est, dit- elle, totalement désapprouvée par ses chefs des services secrets israéliens, lesquels auraient d’ailleurs tenté de la liquider physiquement lorsqu’elle les a quittés pour retourner en France. Mais quel crédit peut-on accorder à son propos dans de telles conditions ?

Sans doute la guerre clandestine que se livrent Israéliens et Palestiniens doit-elle ressembler plus ou moins à ce qu’en dit Nima Zamar. A cet égard, il est plausible. Mais ici tout est dans ce  » plus ou moins « . Si ce récit ne correspond pas tout à fait à la réalité, s’il est partiellement fabriqué, romancé, inventé, alors il est trompeur parce qu’il n’est pas ce qu’il prétend être : une histoire vécue. Et cela importe dans le contexte géopolitique de l’heure. Actuellement, rien ne permet toutefois de trancher le débat qu’il suscite. Ni, donc, de lever le doute qui s’empare de ceux qui l’ont lu. Y compris ceux qui ont rencontré son auteur.

Entretien : Olivier Rogeau

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