La ministre MR de la Mobilité déclare l’urgence absolue pour sauver la société des chemins de fer, qui risque un naufrage pur et simple. » Il faut que tout le monde se mette en mouvement « , dit-elle. Les syndicats, eux, sont prévenus : faute de service minimum garanti d’ici la fin de l’année, elle reprendra la main.
Le Vif/L’Express : Vous êtes restée tout l’été au pays. Pour préparer une rentrée qui s’annonce socialement chaude ?
Jacqueline Galant : Je n’ai pas été éduquée dans une culture de vacances, cela ne me manque pas. J’ai pu aller une journée à la mer avec des amis pour faire une coupure et c’est amplement suffisant. Mais, oui, le temps est précieux. Une législature de cinq ans, cela peut sembler long, mais c’est en réalité très court pour des dossiers aussi importants. J’ai présenté ma vision stratégique pour la SNCB en juillet, mais le plus difficile commence : sa concrétisation.
Vu les grèves tous azimuts, ce n’est visiblement pas facile de réformer dans le domaine crucial de la mobilité…
Ce n’est pas facile, mais c’est indispensable. La SNCB est malade, elle a besoin d’une révolution culturelle. La situation financière est extrêmement préoccupante, l’organisation est déplorable dans certains domaines, il faut guérir cette société pour la pérenniser en vue de la libéralisation du rail. Cinq ans pour y arriver, c’est court, mais c’est faisable. Ce lundi, j’ai visité une société dans le Hainaut dont la situation financière était catastrophique il y a cinq ans, mais qui a pu être redressée après la mise en place de nouvelles procédures. Mais pour y arriver, il faut que tout le monde se mette en mouvement.
C’est mal parti : cet été, un syndicat de conducteurs a déjà mené des grèves tournantes et la CGSP-Cheminots menace de faire de même à la rentrée…
Ce que je regrette, c’est que certains syndicats ont réagi négativement sans même avoir connaissance de ma vision stratégique. Si on aime vraiment la SNCB, si on aime son métier, on doit être conscient qu’il faut réformer. Dans mon projet, il n’y a aucun licenciement…
Peut-être, mais il y aura de nombreux non-remplacements, dénoncent les syndicats…
Il y aura 35 % de départs naturels, ce n’est pas moi qui le veut, c’est l’effet de la pyramide des âges. Si l’on ne profite pas de cela, de la situation financière et de la diminution de la dotation pour se préparer à la libéralisation du rail, on ne le fera jamais. En Allemagne, quand la société nationale s’est retrouvée face à la concurrence, elle a perdu la moitié des parts de marché parce qu’elle n’était pas prête.
Vous ne voulez pas de ça…
Je crois en l’avenir de la SNCB, mais il faut lui redonner confiance et arrêter le gaspillage d’argent public, je ne supporte pas ça ! Il faut étudier les investissements, développer les collaborations entre la SNCB et Infrabel. C’est un choc culturel qui est nécessaire. J’ai le soutien de tout le gouvernement ainsi que des deux CEO des entreprises.
Au sein de la majorité, la N-VA et l’Open VLD voulaient aller plus loin et réclamaient une privatisation partielle.
Nous n’avons jamais parlé de privatisation. Nous aurions pu aller plus loin au niveau de la réforme des structures, c’est vrai, mais je ne voulais pas focaliser le travail de ces cinq ans sur cela alors que l’on sort à peine de la restructuration en deux sociétés. Le problème, aujourd’hui, est urgent, opérationnel, et il faut réagir rapidement. Il s’agit de remettre à flot la société et d’améliorer le service aux clients.
La SNCB est, il est vrai, devenue un objet de moqueries avec ses tableaux aux retards innombrables…
Tout à fait. Et quand vous savez qu’en 2015, les trains ne sont toujours pas connectés au wi-fi, que vous êtes coupés en permanence quand vous téléphonez… ce n’est pas normal. J’espère vraiment que tout le personnel sera le moteur de changement, avec l’arrivée d’une nouvelle génération motivée qui a connu des faillites dans le privé et qui ne veut plus connaître ça. Au début de mon mandat, quand j’ai comparé la SNCB à la Sabena, ce n’était pas des mots en l’air. Je n’ai pas dit cela pour dramatiser, mais si on ne réagit pas rapidement, notamment au niveau des ateliers ou de la productivité, on va droit dans le mur ! Une société qui n’investit plus, c’est une société qui meurt, ce n’est pas ce que je veux. Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre mais je préfère être franche avec les gens et leur donner la situation réelle. Je suis étonnée d’avoir récupéré le groupe SNCB dans une telle situation…
N-VA et Open VLD réclament également un service minimum garanti, qui n’est encore mis en place. Pourquoi ?
Dans l’accord de gouvernement, nous avons été très clairs : pour ce service minimum garanti, nous voulons donner sa chance à la concertation sociale qui existe, fort heureusement, dans notre pays, et qui prend beaucoup de place, d’ailleurs.
Elle est en cours ?
Oui, ce n’est pas la ministre qui gère cela. Mais si à la fin de l’année, nous n’avons rien sur la table, je devrai prendre la main. J’espère vraiment que l’on nous proposera quelque chose.
Dans l’aérien, il y a eu aussi de la grogne cet été. Et la question du survol de Bruxelles qui n’est toujours pas réglée…
C’est un dossier très délicat. Nous devons respecter un subtil équilibre entre développement économique et nuisances sonores. Certains nous reprochent de travailler lentement, mais nous ne sommes là que depuis le mois d’octobre et une de mes premières décisions fut d’instaurer un moratoire (NDLR : qui rétablit la situation antérieure au 6 février 2014). Les mesures structurelles seront sur la table à la rentrée. Nous voulons avoir une vision à long terme de cette problématique du survol de Bruxelles et arrêter de changer les routes tous les quinze jours. Parce qu’à ce rythme-là, il y aura un jour un accident.
Des mesures structurelles ? C’est-à-dire ?
Nous travaillons de manière originale en prenant beaucoup d’avis extérieurs, en refusant de nous faire instrumentaliser par l’administration, Belgocontrol ou les associations. Il faut mettre de l’ordre dans toutes ces structures, où il y a des dysfonctionnements, avant de déposer un plan sain qui réponde aux attentes de tous les citoyens.
Les routes sont embouteillées en permanence dans ce pays. Mais il s’agit d’une compétence régionale pour laquelle vous n’avez pas de levier, si ?
Je trouve que j’ai un rôle essentiel à jouer en termes de coordination entre les entités fédérées et le fédéral. En matière de sécurité notamment : quand je vois le nombre de jeunes qui sont tués chaque week-end, c’est une responsabilité énorme. Il faut trouver des alternatives à la route quand ils sortent… Je vais aussi entamer un vaste chantier pour réformer le Code de la route qui date de 1975 : on y trouve encore des mesures pour les personnes qui se déplacent avec des chevaux alors qu’aujourd’hui, on parle de voitures sans conducteur…
Mais au-delà de ça, c’est la cacophonie : il suffit de voir la saga entre Régions sur la vignette routière ou la taxe au kilomètre.
Je trouve effectivement qu’il y a une manque de collaboration entre Régions, ce n’est pas normal. C’est le cas aussi pour la gestion des travaux sur les autoroutes, par exemple. En tant que ministre fédérale, sans m’immiscer dans leurs compétences, je compte bien arriver à une parfaite collaboration entre niveaux de pouvoir. C’est indispensable parce que le citoyen, lui, ne s’en soucie guère, il veut des résultats. Depuis mon arrivée, on me contacte pour tout, y compris pour des trous dans les routes…
Entretien : Olivier Mouton
» Au début de mon mandat, quand j’ai comparé la SNCB à la Sabena, ce n’était pas des mots en l’air »