UNE PSYCHOPATHIE NOMMÉE DAECH

La France vient de vivre un épisode particulièrement choquant, qui signe un tournant dans l’évolution des formes de terrorisme qui la menacent. Le déchaînement de Yassin Salhi, auteur d’une attaque sans précédent contre l’usine de Saint-Quentin-Fallavier, s’inscrit dans une dérive qui fait de la mise en scène macabre un instrument d’action dont on redoute désormais les prochains développements. L’effet produit par Salhi tient moins aux dommages collectifs qu’il a causés, cette fois-là miraculeusement limités, qu’au caractère extrêmement sanguinaire de l’exécution de son employeur, Hervé Cornara, sauvagement assassiné et décapité. L’exhibition de la tête de la victime, photographiée et utilisée pour l’envoi d’un selfie en Syrie via le Canada, est la preuve accablante d’une gradation destinée à augmenter l’ampleur de l’acte terroriste et à l’affilier aux pratiques de Daech.

Cet attentat ne se définit pas uniquement par la nature de l’objectif choisi. C’est la barbarie qui constitue en elle-même le but du perpétrateur. Ce mélange de psychopathie et de djihadisme porte évidemment la signature de Daech. Mais le cas de Salhi montre que l’on aurait tort de considérer cette force de destruction comme un ennemi extérieur, agissant seulement par le biais d’éléments tapis dans l’ombre de nos sociétés européennes. Le caractère particulièrement abject de la décapitation résulte d’une intériorisation très profonde du crime de sang : c’est par l’édification d’un modèle imitable à tout moment par la pure cruauté, pas seulement par l’ampleur des destructions, que Daech s’incruste dans les têtes de jeunes hommes prêts à tout, comme s’ils avaient abandonné tout leur vécu antérieur dans une sorte d’acte vertueux ultime. En d’autres termes, le corps-à-corps atroce a pour finalité d’atteindre les systèmes démocratiques de manière interne, bien plus qu’externe, ce qui le rend spécialement redoutable. C’est une guerre qui utilise l’individu et ses libertés fondamentales, apanage des sociétés occidentales, pour frapper le stade collectif et déstabiliser les nations. Contrairement aux apparences, cette idéologie est sophistiquée ; elle repose sur la décérébration et le besoin de rattachement du  » perdant radical « , selon l’expression très juste de l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger. Elle enrôle précisément des esprits faibles, qui se présentent sous des dehors normaux tout en dissimulant une intention haineuse au plus haut degré, profils a priori indécelables. Daech recrute, à l’inverse d’Al-Qaeda, non pas des combattants qui se cachent dans les vallées afghanes ou dans le Sahara, mais des citoyens qui se rendent à leur travail tous les matins – jusqu’au jour où ils passent à l’action. En photographiant leurs propres exactions, ces derniers rejoignent, sans changer de lieu, les exécutions de masse filmées par Daech au Moyen-Orient ; ils croient ainsi apporter leur pierre à l’héroïsme fanatique et contribuent à montrer à de nouveaux volontaires que le terrorisme de l’ultraviolence est le seul qui puisse rallier à lui toutes les autres formes du combat djihadiste. Daech est une forme d’extrémisme qui se nourrit du nihilisme occidental.

Comme l’estime le juge antiterroriste Marc Trévidic,  » la religion n’est pas le moteur de ce mouvement et c’est ce qui en fait sa force  » (1). C’est pourquoi on ne mesure pas l’effet spontané, pas plus que la résonance, que ces scénographies horrifiques peuvent entraîner dans la société française – et plus largement dans toute l’Europe. Comme le confiait au Vif/L’Express Henry Laurens, un des plus fins spécialistes du monde musulman, ce type de terrorisme est en lien direct avec le radicalisme extrême qui sévit dans le monde arabe, mais il est aussi  » le produit de nos propres sociétés « .

(1) Le Télégramme, 28 juin 2015.

par Christian Makarian

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