Pour tenter de redynamiser certains de ses quartiers les plus touchés par la vacance commerciale, Liège entend développer leurs identités. Tout un programme à destination des investisseurs potentiels, mais aussi du tourisme.
L’exception qui confirme la règle. Alors que tous les centres-villes tirent chaque année un peu plus la langue, celui de Liège commence doucement à se redresser. La présentation du rapport sur la dynamique commerciale wallonne de l’AMCV (Association du management de centre-ville), en septembre dernier, a fait sourire l’échevinat du Commerce de la Cité ardente.
Certes la situation est encore loin d’être parfaite : 18 % de cellules vides sur les 1 369 que compte le territoire, cela ne ravit personne. D’autant que le seuil alarmant est porté à 10 %… Mais, selon l’AMCV, » la tendance est plutôt bonne « . La Cité ardente est » juste sous la moyenne et figure donc plutôt parmi les bons élèves, avec un centre qui tient la route même s’il présente encore quelques difficultés. » Le flux piéton a même progressé de 9 % depuis 2010, alors qu’il a régressé partout ailleurs.
L’éclosion, ces dernières années, de multiples galeries et pôles concurrents en périphérie (Médiacité, Belle-Ile, Cora, Herstal…) laisse encore des traces. Surtout dans les principales artères, comme Vinâve d’Ile et Pont d’Ile. Où les vitrines vides ne le restent jamais longtemps, mais où le chiffre d’affaires des grandes enseignes n’est plus ce qu’il était. Le dynamisme est surtout à chercher dans les petites rues connexes (de la Casquette, des Carmes, Neuvice, Souverain-Pont…), où des boutiques spécialisées élisent de plus en plus domicile.
Paradoxalement, ces rues en cours de développement restent celles qui présentent le nombre de cellules vides le plus important. C’est sur elles que le service du développement économique et commercial de la Ville a décidé de mettre la priorité, à travers l’élaboration d’identités de quartier.
L’idée de ce concept original est de donner à chaque quartier sélectionné une identité visuelle, un slogan, un résumé de ses atouts. » Nous avons d’abord donné la priorité à ceux qui étaient en souffrance, détaille Laurence Denis, coordinatrice du projet. L’objectif était de travailler à leur positionnement, leur donner un visage, une cohérence. » En 2014, la Ville s’est penchée sur Outremeuse, le faubourg Saint-Gilles et les Guillemins. Cette année, elle a poursuivi avec le Grand Léopold, le Carré et Chênée. En 2016, elle continuera avec le coeur historique, le Longdoz et Bressoux-Droixhe.
Diagnostic
» On a d’abord recueilli toutes les informations spécifiques, historiques, les statistiques sociodémographiques et commerciales… On a chaque fois interrogé une dizaine de personnes ressources, des commerçants mais aussi des acteurs culturels, des riverains, etc. Car le commerce est une activité induite par tout ce qui se passe autour de lui, décrit Laurence Denis. Ensuite, on a fait des visites de terrain, pour s’imprégner de l’ambiance, des couleurs. Tout cela nous a servi à organiser des ateliers participatifs avec tous les acteurs concernés pour, au final, poser un vrai diagnostic et créer une identité, avec un symbole, deux couleurs, un slogan. »
Grand Léopold est ainsi devenu » la vitrine des créateurs « , en référence à la présence de plusieurs stylistes, designers et artisans. Le Carré est quant à lui » l’atout pour plaire » où se côtoient boutiques de luxe en journée et bars festifs en soirée. Outremeuse, c’est » la ville, autrement « , le premier pôle commercial après l’hypercentre. Des chiffres clés ont à chaque fois été ajoutés. On apprend ainsi que le loyer commercial moyen est de 250 euros par mètre carré par an à Saint-Gilles, contre 475 euros dans le Carré. Ou qu’il y a 170 commerces en activité à Chênée et 190 aux Guillemins. Qu’il reste 45 vitrines vides dans le Grand Léopold, etc.
Toutes ces informations ont été compilées dans des brochures distribuées dans des lieux fréquentés par les investisseurs potentiels. Structures d’accompagnement pour entrepreneurs, agences immobilières, salons, bureaux du commerce… Car l’objectif principal est d’attirer les porteurs de projets et de mieux les orienter. » On reçoit souvent des personnes qui souhaitent ouvrir un magasin mais qui ne savent pas trop où s’implanter, souligne Laurence Denis. On fait déjà beaucoup d’aide à la localisation, mais cet outil pourra encore aider davantage. » L’idée est, par exemple, qu’à terme, un jeune créateur qui veut s’implanter se dirige naturellement vers le Grand Léopold et que l’identité du quartier s’en trouve encore renforcée.
» On s’occupe enfin des commerçants »
L’ambition est aussi que les enseignes s’approprient leur logo, couleurs et slogan. Cela semble fonctionner : certaines ont demandé à ce qu’ils soient imprimés sur des sacs de courses ou sur des goodies à distribuer à leurs clients, d’autres les utilisent sur leurs affiches et sites Web… » Les commerçants sont satisfaits, assure Jean-Luc Vasseur, président de l’association Commerce liégeois. Cela leur donne la possibilité d’avoir une certaine cohésion, de mieux communiquer et d’attirer de nouveaux investisseurs, avec des chiffres réels. »
» C’est une très chouette idée, abonde Valérie Saretto, secrétaire générale de l’UCM province de Liège. Les commerçants ont le sentiment qu’on s’occupe enfin d’eux, alors qu’ils avaient par le passé l’impression que la Ville était surtout préoccupée par le développement de l’offre en périphérie, ce qui a vidé le centre. » Elle regrette toutefois que ces brochures ne soient pas traduites, au moins en anglais. Et qu’elles ne soient pas déclinées en » technologies plus modernes « , comme des applications Web. » En matière de marketing, Liège a encore deux guerres de retard, ajoute-t-elle. Il faudrait mieux indiquer les places de parking libres ou les musées, élaborer des packages, distribuer des plans gratuits… »
» On devrait utiliser les couleurs, les mettre en avant dans la rue pour qu’on se rende compte qu’on passe d’un quartier à l’autre. Que cela attire l’attention des gens, considère Jean-Luc Vasseur. Cela doit devenir un atout touristique. » La Ville compte aussi là-dessus. Elle entend développer une carte qui référencerait les différents quartiers, ainsi qu’une signalisation spécifique dans les rues.
» On va lier davantage les fonctions touristiques et commerciales, résume Bernadette Noël, attachée de cabinet à l’échevinat du développement économique. Ces derniers mois, il y a de plus en plus de touristes à Liège. Les commerçants s’en rendent compte et sont demandeurs d’outils adaptés. »
Les identités de quartiers ne sauveront sans doute pas, à elles seules, le commerce liégeois. L’impact réel sur les investisseurs potentiels est d’ailleurs difficile à quantifier. Mais selon l’AMCV, c’est ce type d’implication des pouvoirs publics qui aide à faire la différence. Comme Créashop, une aide de maximum 6 000 euros accordée aux nouveaux magasins de qualité qui s’installent en zones sinistrées. Dix-huit projets ont été financés depuis 2014. C’est déjà 18 cellules vides en moins.
Par Mélanie Geelkens