Une mondaine au service de la Reine

Remarquablement douée en  » chroniqueuse mondaine « , Elisabeth Vigée Le Brun a su tirer parti de tous ses talents pour se hisser au rang des plus grands. La voici enfin honorée.

Pour la toute première fois, la France honore Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), l’une de ses plus importantes femmes artistes… A croire que, dans une histoire de l’art éminemment masculine, on préférait oublier que des femmes se sont distinguées. Forcément : sa fabuleuse destinée démonte à elle seule la question  » Pourquoi n’y a- t-il pas eu de grandes femmes peintres ?  » et pose un sérieux problème à certains partisans d’un féminisme pur et dur.  » L’artiste n’a jamais ressenti sa féminité comme une malédiction ou comme un obstacle au plein épanouissement de ses facultés intellectuelles, de sa créativité et de sa personnalité. Elle s’en est même glorifiée et en a fait une sorte de blason. […] « , explique Joseph Baillio, l’un des commissaires de l’exposition.

Dans une scénographie fidèle à l’esprit et à l’élégance des intérieurs du XVIIIe siècle, une douzaine de salles – tantôt chronologiques, tantôt thématiques – interrogent les raisons du succès de cette personnalité hors norme qui réussit à s’imposer en se mesurant aux hommes. Sans complexe !

Miroir, mon beau miroir… Les premières cimaises tracent efficacement les contours d’un personnage qui n’a cessé de se représenter sur la toile ou sur le papier. Ses autoportraits abondent. Soulignant continuellement sa beauté ou immortalisant sa souriante maternité, l’artiste dégage l’image d’une self-made woman qui a forgé, elle-même, son ascension sociale et sa réussite professionnelle.

 » Tu seras peintre, mon enfant  »

A cheval sur deux époques, la vie d’Elisabeth Vigée Le Brun s’étend du règne de Louis XV à celui de Louis-Philippe. Période orageuse dans l’histoire de France. Née dans un milieu relativement modeste, elle est la fille d’une coiffeuse et d’un pastelliste. Son père décède lorsque l’enfant n’a que douze ans. Il eut néanmoins le temps d’encourager ses talents et de lui transmettre quelques secrets artistiques. Une formation un peu décousue (cours, conseils, observation…) vient solidifier une technique sophistiquée et très personnelle. Consciente de son potentiel et douée d’une confiance exceptionnelle, la jeune femme dispose d’autres  » qualités  » : un frère écrivain renommé, un mari au regard avisé et tout un réseau de relations influentes. De quoi lui assurer une jolie clientèle bourgeoise qui s’élargit à la grande aristocratie, aux princes de sang… jusqu’à la reine Marie-Antoinette !

Soutien royal

L’exposition éclaire très largement ses prestations au service de Marie-Antoinette. Elle livre son premier grand portrait officiel en 1778. Un succès ! L’artiste est la première à donner entière satisfaction à la souveraine. Pourtant, très franchement, face à cette réalisation, on reste surpris… tant l’exécution est ponctuée de maladresses. En réalité, le tour de force de Vigée Le Brun consistait surtout à saisir la ressemblance de ses modèles tout en les idéalisant de manière imperceptible. Une sorte de  » Photoshop pictural  » !

En 1783, la jeune femme entre à l’Académie royale, dans des circonstances exceptionnelles, grâce au soutien de la Reine. Un honneur rare. Une consécration ! Il ne faut pas sous-estimer le contexte : depuis la fondation de l’Académie en 1648, les femmes artistes étaient reçues en nombre très limité. Non autorisées à dessiner d’après nature des modèles nus masculins, elles n’étaient pas préparées à peindre des sujets historiques ou mythologiques (ceux-là demandaient toutes les connaissances anatomiques). Mais un autre motif écartait l’artiste : elle ne pouvait intégrer cette élite en raison de la profession de son époux, Jean-Baptiste Pierre Le Brun, marchand d’art le plus important de sa génération. La situation d’une femme étant, à l’époque, uniquement déterminée par celle de son mari.

Emulation féminine

Seule une autre femme put parfois faire figure de rivale : Adélaïde Labille-Guiard. Les deux peintres furent rapidement mises en concurrence par la critique et le public. Ces  » rivales  » marchaient pourtant dans la même direction – vers la perfection ! – et partageaient le même fonds de commerce, le portrait. Un genre mineur aux yeux de l’Académie (en regard de la  » Grande peinture d’Histoire  » réservée aux hommes) mais d’une importance capitale dans cette nouvelle France en ébullition où le  » moi social  » prend de plus en plus de place. Mais les deux portraitistes n’useront pas des mêmes moyens… Les oeuvres de Vigée Le Brun sont chargées de sensualité : des femmes aux silhouettes généreuses, bouches pulpeuses, carnations radieuses… Parfois indolentes au regard perdu ou provocantes. Certaines dégagent même un magnétisme animal voire une charge érotique qui auraient certainement plu à Renoir ! Il suffit de regarder le portrait de l’aguichante comtesse de Gramont Caderousse costumée en vendangeuse. Et si c’est dans la coquetterie féminine que Vigée Le Brun a livré ses plus adorables sujets, ses portraits d’hommes sont d’une très grande force de caractère (démonstration efficace avec le portrait d’Hubert Robert). Notre artiste se fera aussi le chantre de l’amour maternel. Deux chefs-d’oeuvre méritent d’être épinglés : le portrait de Marie-Antoinette – soucieuse de redorer son image – entourée de ses enfants et un autoportrait de l’artiste serrant contre sa poitrine sa fille, Julie. Des oeuvres qui dégagent une tendresse universelle et infinie.

Calomniée et menacée

Elisabeth Vigée Le Brun a connu une vie particulièrement mouvementée… Elle rencontra l’impopularité et fit l’objet de virulentes campagnes diffamatoires. L’artiste expliquait elle-même, avec la plus grande concision :  » J’étais la seule dont on payait les portraits aussi cher [mots barrés]… aussi comme j’avais la vogue à la Ville, et la Cour, j’eus des ennemis en peintre, et en femme pour ma figure, ce qui a redoublé les calomniateurs  » (Souvenirs). Calomniée, menacée, Elisabeth Vigée Le Brun quitte Paris pour rejoindre l’Italie en 1789. Commence alors un voyage qui va durer douze ans. Une carrière nomade qui l’emmène en Autriche, en Russie, en Angleterre, en Suisse… Coupée de son mari et de ses acheteurs, elle rebondit sans trop de mal, retrouvant à chaque fois rapidement une nouvelle clientèle fascinée par le modèle français. Son retour à Paris, le 18 janvier 1802, se fera dans le faste. Elle est fêtée par son époux, sa famille, ses amis. Elle poursuivra dans la réalisation de portraits et son salon sera toujours reconnu comme l’un des hauts lieux de la belle société.

Elisabeth Louise Vigée Le Brun, 1755-1842, Grand Palais. Galeries nationales. Place Clemenceau. Paris 8e, jusqu’au 11 janvier 2016, www.grandpalais.fr

Par Gwennaëlle Gribaumont

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