Une mauvaise nuit… nuit !
40 % des Belges souffriraient d’insomnies transitoires, et de 10 à 15 %, d’insomnies chroniques. Avec des conséquences parfois désastreuses
(1)Une brochure pratique peut être demandée au Comité interprovincial de médecine préventive au 061 23 27 82 ou téléchargée sur www.cimp.be rubrique » publications « .
Il existe plein de » bonnes » raisons de mal dormir : bruit ambiant, travail en pauses, enfants en bas âge ou malades, problèmes personnels, apnées du sommeil, coucher tardif, prise de médicaments. La période consacrée normalement au repos et tant attendue risque alors de devenir un calvaire. De surcroît, cette mauvaise nuit entraîne alors une somnolence qui se traduit par un besoin involontaire et incontrôlable de dormir… pendant la journée.
Les conséquences classiques de cet état de fatigue ? Un manque d’attention, une difficulté à se concentrer, des pertes de mémoire. Généralement, après quelques bonnes nuits de sommeil, tout rentre dans l’ordre. Sauf chez 5 % de la population. » Devenue chronique, la somnolence est pathologique quand elle altère la qualité de vie ou fait courir des risques, explique le Dr Stéphane Noël, neurologue à l’Unité de sommeil du Centre universitaire provincial La Clairière, à Bertrix. De 15 à 20 % des accidents sur tout le réseau routier et 33 % sur autoroute lui sont dus. » Au volant, assez logiquement, les principales causes de somnolence proviennent d’un manque de sommeil. Ce dernier équivaut à un taux d’alcoolémie de 0,5 mg et il multiplie le risque d’accident par 3. Vient ensuite la conduite de nuit : entre 2 et 5 heures du matin, elle multiplie le risque par 5. On note ensuite les maladies qui induisent un mauvais sommeil (respiration difficile, douleur…) et font courir un risque 6 fois supérieur puis, enfin, une prise de médicaments qui provoquent un tel état.
En plus des accidents de la route, la somnolence peut être à l’origine d’accidents du travail, puisque la vigilance est diminuée. Le travailleur en pauses fait partie des catégories de personnes qui courent le plus de risques. » D’après une étude française menée en 1995, 41 % d’entre elles souffrent de somnolence, contre 13 % dans la population générale. Cela explique leurs risques accrus d’accidents du travail « , explique le Dr Eric Mullens, spécialiste du sommeil et chef de service du laboratoire du sommeil d’Albi (France). De plus, en raison de leur dette de sommeil, ces employés peuvent présenter des troubles gastro-intestinaux, de l’humeur, des problèmes familiaux. Ils prennent régulièrement des hypnotiques ou des psychotropes.
» Notre rythme veille-sommeil biologique est très puissant. En cas de travail en pauses qui oblige à rester éveillé alors que l’organisme réclame du sommeil, le rythme circadien est désynchronisé. La somnolence est dès lors normale, mais il faut mettre en garde ces travailleurs contre une mauvaise hygiène de vie. Par exemple, ils ne doivent pas avoir de double journée, et donc éviter d’effectuer des travaux la journée dans leur maison après une nuit de travail, conclut le Dr Mullens. Il leur faut veiller à bien récupérer, à s’alimenter régulièrement, à prendre des collations pendant la nuit, un vrai petit déjeuner, et ne pas hésiter à faire une sieste avant d’aller travailler » (1).
» Chez les femmes, on a aussi constaté que beaucoup de problèmes d’insomnie débutent lorsqu’elles ont un enfant en bas âge, et le problème persiste ensuite « , poursuit le Dr Myriam Kerkhofs, du laboratoire du sommeil de l’hôpital Vésale, à Charleroi. Mais la somnolence chronique qui en résulte frappe également régulièrement les personnes qui souffrent d’apnées du sommeil. Environ 4 % des hommes et 2 % des femmes présentent ce trouble ventilatoire du sommeil. Il se manifeste par un arrêt de la respiration de plusieurs secondes durant le repos et est généralement dû à une obstruction des voies respiratoires. » Ces apnées sont généralement associées au ronflement, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce phénomène prend une ampleur variable au cours de la vie. Ainsi, il touche environ 1 enfant de moins de 9 ans sur 3, il s’atténue chez les jeunes adultes (moins de 5 % de personnes de 20 à 29 ans sont concernées) et augmente à nouveau ensuite : environ 23 % des quadragénaires sont touchés et c’est le cas de 40 % des sexagénaires « , explique le Pr Robert Poirrier, neurologue et chef de service du Centre d’étude des troubles de l’éveil et du sommeil (CETES) du CHU Sart Tilman, à Liège. Les enfants qui présentent des apnées du sommeil respirent surtout par la bouche en dormant, mais ils ne ronflent pas nécessairement. » S’ils ronflent, c’est que le problème est déjà sérieux, nécessitant une exploration et des traitements appropriés « , précise le Pr Poirrier. Conséquence : ces enfants sont fatigués et ils éprouvent des difficultés à se concentrer, avec des risques d’apprentissages plus difficiles et d’agressivité plus grande.
» Les apnées du sommeil deviennent surtout problématiques vers l’âge de 45 ans. Ils se traduisent alors par des ronflements sonores et gênants pour l’entourage, une somnolence diurne excessive, une augmentation de la miction nocturne (les personnes concernées urinent plus fréquemment durant la nuit) et une sensation de bouche sèche au lever. Leurs conséquences peuvent être plus importantes encore « , souligne le spécialiste ( lire l’ encadré en p. 46). Pour empêcher les apnées, il existe des techniques très efficaces comme, par exemple, l’assistance ventilatoire à domicile : un appareil relié à un masque porté par le dormeur pendant la nuit lui procure de l’air à un débit supérieur à la pression atmosphérique normale.
Face à des problèmes de sommeil, bon nombre de personnes font appel à des » trucs personnels « . Qui, bien souvent, ne règlent rien : boire de l’alcool avant le coucher, se remettre au travail ou fumer une cigarette sont autant de mesures contre-productives car elles augmentent encore la vigilance. Quant à une prise de médicaments, elle n’est pas recommandée tant que l’on n’a pas envisagé de bien faire étudier son propre sommeil dans un laboratoire spécialisé, afin de comprendre ses troubles. C’est clair : notre sommeil mérite toute notre vigilance. Ne serait-ce que pour nous assurer une bonne qualité de vie. Carine Maillard
Carine Maillard
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