Une jeune fille (presque) comme les autres

Dans le parfois char-mant mais futile et trompeur Marie-Antoinette, Sofia Coppola peint le por-trait d’une jeune rei-ne innocente, jouée par son actrice fe- tiche, Kirsten Dunst

De notre envoyé spécial au Festival de Cannes

Une nuit de fête s’achève au château de Versailles. Quelques jeunes gens de la cour, point trop fatigués encore, emportent deux ou trois bouteilles vers les jardins d’où ils vont jouir du spectacle naturel offert par le soleil levant. La caméra les suit, spontanée, en léger déséquilibre, comme tenue par un autre compagnon festif. L’image est surprenante, étrange, charmante et naturelle, telle qu’elle aurait pu sortir d’un  » home movie  » de l’époque, si les caméscopes, du moins, avaient existé ! Des instants magiques comme celui-ci, Marie-Antoinette en contient plusieurs; ils offrent au regard le meilleur d’un film globalement et malheureusement raté.

Après le succès planétaire de son très attachant Lost in Translation, Sofia Coppola cherchait un projet  » carrément différent « . C’est Dean Tavoularis, le grand décorateur complice de tant de films de son père Francis, qui lui parla un jour de Marie-Antoinette.  » J’avais, comme beaucoup de gens, l’image simpliste d’une reine futile et méchante, se souvient la réalisatrice, et j’ignorais totalement qu’elle n’avait que 14 ans au moment de quitter la cour d’Autriche pour épouser le futur roi de France.  » Quelques lectures plus tard, Coppola Junior, voyant remonter de son enfance  » des envies de film d’époque « , entreprenait d’en consacrer un à celle qu’elle percevait désormais comme  » une jeune fille comme il y en a beaucoup, à qui il est seulement imposé de grandir dans des circonstances très particulières et extrêmes « .

L’intuition d’Alain Delon

Pour incarner sa royale héroïne, la brune Sofia choisit d’emblée la blonde Kirsten Dunst, vedette, déjà, de son premier long-métrage Virgin Suicides, et connue dans le monde entier pour son personnage d’amoureuse de Spider-Man dans la série populaire consacrée au super-héros. La jeune comédienne ne s’est pas fait prier, au contraire d’un Alain Delon refusant le rôle du roi Louis XV (et beau-père de Marie-Antoinette) avec sa morgue habituelle.  » Il m’a dit que non seulement il ne voulait pas y jouer, mais que mon film était une fort mauvaise idée !  » raconte Sofia Coppola, qui aurait peut-être dû réfléchir au jugement, certes lapidaire et dur, mais finalement justifié, de l’orgueilleux acteur français…

Car, si l’on retrouve sporadiquement dans Marie-Antoinette cet art qu’a la réalisatrice de filmer les moments creux avec une grâce singulière, et si certains anachronismes s’avèrent savoureux (à commencer par une bande musicale post-punk avec – notamment – les groupes Gang of Four, The Cure et New Order), l’ensemble souffre de trop de défauts pour vraiment convaincre. Malgré son évident talent, Kirsten Dunst se révèle un peu fluette dans le rôle titulaire, face à un Jason Schwartzman (un cousin de la réalisatrice) plus convaincant en Louis XVI et un Rip Torn remplaçant Alain Delon… avec l’accent texan.

Mais la faillite essentielle de Marie-Antoinette réside dans deux motifs capitaux. D’abord, l’incapacité qu’a sa réalisatrice de rendre intéressant un point de vue pour le moins léger, qui consiste à cadrer l’héroïne  » comme une jeune fille qui nous soit proche, sans le vernis du temps passé « . Ensuite, et sans doute plus difficilement pardonnable, le postulat antihistorique qui étend l’  » innocence  » supposée de Marie-Antoinette à l’ensemble de la cour de Versailles, souverain et ministres compris ! Comme si, outre les pamphlets salaces attaquant les m£urs royales et auxquels le film fait brièvement écho, personne à la cour ne lisait des textes prérévolutionnaires, ne suivait l’actualité du pays, pour ne découvrir que soudain, avec la marche du peuple de Paris sur Versailles, la réalité sociale du temps. Navrante imposture que le seul éloignement culturel et la licence artistique ne sauraient excuser.

Louis Danvers