Une  » fille de Boche  » témoigne

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le sujet, en Belgique, est demeuré plus tabou que dans la plupart des autres pays occupés. Des relations entre des militaires de la Wehrmacht et des femmes belges sont nés, selon les estimations, de 20 000 à 40 000 enfants. Sans compter les cas de viol. Aujourd’hui sexagénaires, ces hommes et ces femmes cachent toujours leur passé. Entre non-dits et silences gênés, le secret est resté bien gardé depuis la guerre, par peur des représailles ou de l’opprobre.

Enseignante à la retraite, Gerlinda Swillen (photo), née le 20 août 1942, est la première à sortir de l’ombre. Voici quelques semaines (Le Vif/L’Express du 16 mai 2008, p. 46), cette germaniste de formation nous avait confié l’histoire de ses origines paternelles et son projet de recherche entamé en septembre 2007 : avec le soutien scientifique du Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (Ceges), elle étudie toutes les facettes de la  » collaboration horizontale  » et cherche à récolter les témoignages d’autres  » enfants de Boches « .

 » Nous avons été éduqués dans la honte de notre passé, déplore-t-elle. Il n’est donc pas facile de faire parler ceux qui ont une histoire comme la miennne. Il y a pourtant urgence, car les témoins disparaissent peu à peu.  » Grâce aux archives, Gerlinda Swillen a déjà balisé quelques pistes.  » La plupart des femmes séduites par un soldat allemand étaient très jeunes à l’époque de leur liaison. Sans doute que des femmes plus âgées, mariées, ont souvent réussi à dissimuler leur aventure extraconjugale. Pour les unes, c’était une aventure éphémère. Pour d’autres, un grand amour de jeunesse. Cela ne faisait pas pour autant de ces femmes des agents de l’ennemi, disposées à la délation. « 

Le père de Gerlinda Swillen, un certain Karl Weigert, était sous-officier dans l’armée allemande. Responsable du matériel roulant à Gand, il y rencontre, en 1941, Julienne Pollen, une Flamande de 22 ans. Leur fille, Gerlinda, est conçue le 6 décembre de cette année-là, mais le couple est séparé peu après : Weigert est envoyé sur le front de l’Est. Sa relation avec la jeune Belge lui a-t-elle valu un transfert disciplinaire ? Gerlinda l’ignore. Sa mère, aujourd’hui âgée de 89 ans, a révélé le grand secret à sa fille l’an dernier, mais n’a pu en dire beaucoup plus sur son amant perdu de vue.

En 1946, Julienne épouse un veuf originaire de Louvain, qui reconnaît Gerlinda. Dans la famille, la chape de plomb tombe alors sur les sombres années de guerre, mais la gamine se rend vite compte qu’on lui cache ses origines et cela ne cessera d’exciter sa curiosité. Aujourd’hui, elle espère que d’autres enfants de la Collaboration oseront briser à leur tour le tabou. l

Olivier Rogeau

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