Une conscience allemande

A travers le portrait romancé du chef d’état-major antihitlérien, Hans Magnus Enzensberger écrit un remarquable chapitre de l’histoire outre-Rhin.

La peur n’est pas une vision du monde.  » La formule classe son homme, surtout dans les circonstances où elle est prononcée : le jour de l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933. Son auteur signait K. v. H., pour Kurt von Hammerstein-Equord (1878-1943). Il était chef d’état-major général de l’armée allemande, la Reichswehr, conservateur et homme de principes. Il ne pouvait que détester les nazis, révolutionnaires, voyous et sans parole. Conséquent, il quitta ses fonctions l’année suivante, et mourut d’un cancer en 1943, au tournant d’une guerre qu’il n’aura pas faite.

Hammerstein est l’archétype d’une classe sociale disparue, l’aristocratie prussienne. Aussi, l’écrivain, éditeur, dramaturge de gauche Hans Magnus Enzensberger – malgré ses 16 ans en 1945 – a-t-il épluché avec la prudence d’un ethnologue des archives inédites, interrogé des témoins, tout lu sur la période, pour dresser le portrait de ce héros allemand et de ses proches.  » L’histoire de votre famille m’intéresse car elle en dit long sur la façon dont on pouvait survivre sous le régime hitlérien sans capituler devant lui « , déclara-t-il à l’un d’eux. Car, au-delà de la figure d’Hammerstein, c’est toute une famille qui résiste, et cette unanimité fascine l’auteur. Les deux fils, officiers eux aussi, participent à l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 ; ils survivront dans la clandestinité jusqu’à la fin de la guerre. Trois de ses filles, étudiantes, de gauche, amoureuses d’étudiants juifs, s’engagent, l’une dans la cause sioniste, les deux autres devenant agents de renseignement du Komintern, au profit de Moscou. Cette lignée concentre  » toutes les contradictions et tous les thèmes décisifs de la catastrophe allemande « , selon Hans Magnus Enzensberger. Elle a donc servi de terreau à cette  » histoire allemande « , sous-titre du livre. Le romancier y a ajouté des dialogues fictifs, des tableaux, des photos de personnages réels. Le résultat : un livre entre document et roman historique, inclassable mais superbe et digne.

Hammerstein ou l’intransigeance. Une histoire allemande, par Hans Magnus Enzensberger, trad. de l’allemand par Bernard Lortholary. Gallimard, 392 p.

EMMANUEL HECHT

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