Un vent de coopération souffle en Cité ardente

Que ce soit dans le secteur alimentaire ou dans celui de la culture, les coopératives à finalité sociale sont nombreuses à émerger sur le territoire liégeois. Et les appels publics à l’épargne se multiplient. Une spécificité locale ?

En 2010, Fabrice Collignon lançait Vin de Liège et relevait le défi de rassembler 1 200 coopérateurs. Depuis, ce vin issu de la culture biologique, pur produit du terroir liégeois, a été si bien tiré et bu qu’il fait figure de modèle.  » Vin de Liège a tenu un rôle exemplaire, tant au niveau viticole qu’économique « , se réjouit Christian Jonet, président des Compagnons de la terre, qui lance aujourd’hui son premier appel public à l’épargne.

Issue du réseau de la Ceinture aliment-terre liégeoise, qui s’est donné pour mission de  » relocaliser, écologiser et démocratiser  » la production alimentaire dans la province, cette coopérative entend couvrir, à cinq ans, 70 % des besoins d’un millier de familles liégeoises.  » La demande pour les produits locaux de qualité est supérieure à l’offre « , argumente Christian Jonet qui espère rassembler 1 000 coopérateurs.

Pour ce diplômé en sciences politiques, également coordinateur du centre culturel alternatif Barricade, la coopérative était logiquement la forme à donner à ce projet.  » Dans l’idée de la souveraineté alimentaire, la gestion démocratique allait de soi. Par ailleurs, si l’objectif est à la fois de rémunérer correctement les travailleurs de la terre et d’offrir un prix raisonnable à la vente pour les consommateurs, il fallait un modèle qui rémunère de manière raisonnable le capital.  »

Les coopératives à finalité sociale ont en effet pour spécificité de limiter cette rémunération à 6 %. Pour ce projet, les parts ont été fixées à 250 euros, avec un maximum de 20 parts par personne, chaque coopérateur ayant également voix au chapitre au sein de l’assemblée générale. Le risque financier est par ailleurs limité à la somme investie – une faillite n’étant, comme dans toute entreprise, jamais à exclure. Et si les coopérateurs ne peuvent espérer faire fortune, ils ont en revanche la garantie de prendre part à un projet en adéquation avec leurs valeurs.

 » Les Belges ont une propension à l’épargne mais cet argent ne leur rapporte pas grand-chose et, par ailleurs, comme l’a montré le rapport du Centre national de coopération au développement, beaucoup de banques spéculent sur l’alimentation ! Les coopérateurs ont la volonté d’assurer un futur à l’agriculture locale paysanne en créant de futurs emplois qui ne dépendent pas d’investisseurs étrangers « , souligne Christian Jonet.

Une propriété collective pour les artistes

Après la débâcle financière et les leçons non tirées de la crise, les jeunes coopératives comptent sur un salutaire retour de balancier : la prise de conscience par les citoyens qu’une alternative est possible.  » Ce type de structure existe depuis le milieu du XIXe siècle. Mais il est clair que les nouvelles coopératives sont davantage animées par le souffle d’un changement que leurs ancêtres « , analyse Benjamin Huybrechts, chargé de cours à HEC-ULg et spécialiste de l’économie sociale.

 » Il y a un désir de plus de transparence et d’action locale. A l’opposé des placements aveugles où l’on se cantonne à connaître le rendement « , estime Marc Moura, cofondateur du Comptoir des ressources créatives, espace de travail partagé qui favorise l’accès à des services mutualisés et à la mise en réseau des créatifs de tout poil.  » Nous sommes partis du constat que les artistes manquaient d’une vision collective, ce qui desservait leur cause et faisait dire aux politiques : « revenez quand vous saurez ce que vous voudrez » « , explique-t-il.

Dans la droite ligne de ses missions premières, le Comptoir s’est récemment associé à SMart (l’Association professionnelle des métiers de la création) et au collectif Jaune Orange (Girls in Hawaii, Malibu Stacy, MLCD…) pour créer Dynamo, une coopérative immobilière au service des métiers de la création qui se prépare à acquérir deux infrastructures : le  » 13, rue Roture  » – ancien Cirque Divers et haut lieu de la vie culturelle et festive liégeoise – et le hangar Dony, dans le quartier Saint-Léonard.  » Ce bâtiment était à vendre et demandait de nombreux aménagements. L’idée d’en devenir propriétaire par l’intermédiaire d’une coopérative est rapidement venue sur la table : c’est une manière d’impliquer les parties prenantes en termes de financement participatif mais aussi de pouvoir décisionnel « , poursuit Marc Moura.

Gérard Fourré, autre cofondateur du Comptoir et de Dynamo, nous fait visiter cet impressionnant espace de quelque 1 400 m2.  » Nous voulions capitaliser des biens immobiliers afin de les extraire d’un marché qui a une visée essentiellement spéculative et garantir ainsi l’accès, sur le long terme, à des loyers modérés « , raconte-t-il. Ici, un atelier de lutherie côtoie une fabrique de redesign durable tandis que, le long de la passerelle supérieure, Anne-Sophie Vanhalle, costumière, travaille à quelques pas de Pignon express, spécialisé dans le montage et la réparation de vélos.

 » Nous espérons créer un véritable vivier au sein de la communauté des créateurs dans lequel pourront émerger de nouvelles formes de réflexion et de nouveaux modèles dont beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui en attente « , poursuit Gérard Fourré qui, bien au-delà d’une propriété collective, voit dans Dynamo l’opportunité d’inscrire l’art au coeur de la cité.  » On observe que le cercle coopératif est véritablement en train de croiser le cercle culturel autour de cette idée. Sans oublier que les industries culturelles sont aussi une véritable force économique. En ce sens, il est significatif que nous soyons soutenus par le ministère de l’Economie « , rappelle-t-il ; Dynamo bénéficiant du dispositif wallon Brasero qui double chaque euro apporté par les coopérateurs.

Liège, vivier de l’économie sociale

Après La Coopérative ardente ou Les Tournières, Liège devrait ainsi voir émerger de nombreuses initiatives dans les années à venir, la Ceinture aliment-terre annonçant, entre autres projets, la mise sur pied d’une coopérative autour des semences et d’une autre dédiée à la culture de champignons à partir de marc de café récupéré.  » Je n’ai pas de données chiffrées mais je partage en partie ce sentiment qu’il y a de nombreuses initiatives d’économie sociale à Liège. Peut-être aussi parce que les Liégeois en parlent davantage ! « , avance Flora Kocovski, conseillère au sein de la Sowecsom, la Société wallonne d’économie sociale marchande.

 » Il y a clairement un effet d’émulation et de mise en réseau des acteurs à l’intérieur du territoire liégeois. Mais celui-ci est aussi de plus en plus perçu, à l’extérieur, comme pionnier au niveau de la filière alimentaire en circuit court, ce qui va permettre de franchir de nouveaux paliers « , estime pour sa part Christian Jonet. Sans doute parce que le tissu associatif, très dense en Cité ardente, a préparé le terrain à cette nouvelle économie, dont tous espèrent qu’elle pourra s’étendre au-delà de ses  » publics captifs « , amis d’amis et autres vieux briscards de la culture alternative.

 » Il faut que cet enthousiasme survive à l’épreuve du temps, notamment à la croissance – qui va attirer des coopérateurs qui ne seront pas forcément animés par le même idéal de départ – ou à un environnement plus concurrentiel. Mais ce n’est pas impossible « , prévient Benjamin Huybrechts. L’appel est en tout cas lancé à l’esprit coopératif des Liégeois.

Par Julie Luong

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