Le local est minuscule et les parents (une petite quarantaine) ont bien du mal à y pénétrer. Tous sont venus écouter Thierry Biren, président de Douance, une association d’aide aux enfants et adultes supposés à haut QI. A 20 heures, l’orateur entame son credo : » Les pédopsychiatres, les psys, les médecins, les profs n’y connaissent rien » ; » Notre système scolaire est totalement inadapté à ces enfants : l’idéal serait des écoles réservées aux surdoués » ; » Des hauts potentiels (HP) souffrent d’anorexie, d’énurésie, de fibromyalgie, d’eczéma, d’hypertension, d’allergies. Ils ne sont pas malades mais mal diagnostiqués ! Simplement, leur haut potentiel n’est pas dépisté et ils en souffrent ! » Effet garanti auprès des parents. A l’issue de la réunion – une heure et demie plus tard – ils ont repéré chez leur progéniture (ou chez eux) les indices du haut potentiel. Thierry Biren leur propose de prendre rendez-vous.
Douance pratique en effet, moyennant finances, le dépistage de jeunes et d’adultes HP. Cette situation ne manque pas de susciter la polémique. Contactés par Le Vif/L’Express, plusieurs psychologues spécialisés dénoncent un dangereux mélange des genres. Car cet ingénieur commercial et sa compagne, ex-prof d’éducation physique, » déléguée pédagogique » employée à mi-temps par l’association, n’ont ni formations ni compétences reconnues officiellement pour identifier la » surdouance « , sauf celles, avancent-ils tous les deux, d’être eux-mêmes surdoués. Pour tester les » candidats « , Thierry Biren utilise une » méthode alternative » aux épreuves de Wechsler. Pas de test de QI, donc. Au cours d’un entretien individuel de deux heures, il évalue » qualitativement » le potentiel intellectuel, c’est-à-dire qu’il » s’attache plus au vécu de la personne et à ses caractéristiques psychoaffectives « . En fait, l’homme a compilé » divers tests, élaborés par ses soins « , et se fie à son » propre instinct « . Il prétend ainsi repérer un HP » en le regardant dans les yeux « , en lui demandant » si les étiquettes de vêtements, les chaussettes le démangent « . Ses tests ne sont ni validés ni reconnus. Les psychologues que nous avons interrogés acquiescent : les HP peuvent présenter des traits de personnalité communs, mais il n’y a pas un profil type. Et » le test de QI est un outil précieux pour objectiver le haut potentiel, souligne Pierre Debroux, psychologue clinicien. Une discipline ne peut pas reposer uniquement sur l’écoute et l’observation du sujet. Elle doit chercher un maximum d’objectivations, grâce notamment à des outils de mesure et à des modèles de référence. Même relative, la donnée du QI reste donc la moins subjective et la moins aléatoire. » » Le haut potentiel étant plus un mode de fonctionnement différent qu’une supériorité intellectuelle, déclarer HP quelqu’un qui ne le serait pas ne présente aucun intérêt. Aucun risque, donc « , répond Thierry Biren. Voilà ce qui s’appelle être surdoué pour le business. Mais le danger, lui, existe : la personne se construit en faux-self, c’est-à-dire en fonction des attentes de l’autre, et peut plonger dans une dépression.
S.G.