UN TABLEAU SOUS LA LOUPE

La Hyène de la Salpêtrière (dit aussi La Monomanie de l’envie)

Cette tête fait partie d’une série de dix portraits (dont cinq nous sont parvenus) d’hommes et de femmes enfermés pour cause de  » monomanie « . Entendez, de folie. L’intérêt pour l’esprit humain et ses dérives se développe au cours du XVIIIe siècle des Lumières et particulièrement en Angleterre qui invente le mot  » psychiatrie « . En France, dès 1802, le docteur Philippe Pinel sort les aliénés des prisons pour les soigner en milieu hospitalier. Viendront ensuite Jean-Etienne Esquirol puis Etienne-Jean Georget, le présumé commanditaire des portraits à Géricault.

La question était alors de visualiser à quoi ressemblait un monomaniaque. Rappelons que le Suisse Lavater avait publié des ouvrages illustrés qui permettaient non seulement de déterminer les traits de caractère de l’homme mais aussi des tendances monomaniaques à partir d’une analyse des visages (la physiognomonie). Une autre approche (comme le montre aussi l’exposition) avait recours à l’observation des reliefs du crâne (la phrénologie de Gall).

Dès lors, en effet, des médecins demandent aux artistes des portraits quasi photographiques de la folie. Ainsi, Esquirol commande 200 dessins de visages à un certain Gabriel puis une trentaine de planches gravées décrivant les attitudes corporelles des malades en crise. Mais voilà, Georget ne croit pas à la physiognomonie. Alors pourquoi ? Le mystère demeure. A sa mort, deux de ses élèves se partagent la série de portraits. L’une gagne l’Allemagne (où on la retrouvera), l’autre la Normandie (où elle a disparu).

Mais Géricault dans tout cela ? Sa passion de l’extrême l’amène à interroger les maîtres anciens, les livres d’anatomie scientifique mais surtout à se rendre sur le terrain. Grâce à Georget, il peut rencontrer et faire poser des malades soignés à la Salpêtrière, à Paris. Homme de son temps, engagé politiquement contre l’Empire, il veut voir de (très) près cette réalité singulière des marginaux de la vie desquels il se sent proche. Le portrait du monomaniaque ne sera donc pas un document. Cette  » folle « , appelée  » la Hyène de la Salpêtrière  » lui ressemble. Son regard a beau être fixe et ses lèvres pincées, elle possède une terrible présence et accuse. Qui ? Etait-elle folle au moment de son incarcération ? Non. Son tort aura été d’être une femme qui voulait s’occuper de politique. Comme cette autre, Théroigne de Méricourt qui, pour avoir mené l’assaut sur les Tuileries, sera conduite et enfermée jusqu’à sa mort à la Salpêtrière. Pour une  » folie  » du même type, la  » Hyène  » ne quittera plus jamais l’asile où elle s’éteindra après vingt ans d’incarcération. Le diagnostic laisse songeur : monomanie de l’envie.

Le tableau a été acheté en 1908 par le musée de Lyon pour une somme dérisoire lors d’une vente aux enchères à Paris au cours de laquelle un autre portrait, dit Le Fou assassin, a été acquis par le musée de Gand.

Géricault. Fragments de compassion, au musée des Beaux-Arts, à Gand. Jusqu’au 25 mai prochain. www.mskgent.be

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